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Libération
Chute

Elections au Pakistan : l’ancien Premier ministre Imran Khan condamné à 10 ans de prison

A quelques jours des élections législatives, l’ancien Premier ministre, déchu en 2022, vient d’être condamné à 10 ans de prison pour avoir rendu public des documents confidentiels.
Imran Khan escorté à la Haute Cour d'Islamabad en mai 2023. (Akhtar Soomro /Reuters)
publié le 30 janvier 2024 à 18h48

Sa chute est vertigineuse. Imran Khan, l’ancien Premier ministre pakistanais qui fut aussi capitaine de l’équipe nationale de cricket, a été condamné ce mardi à une peine de dix ans d’emprisonnement dans une affaire de divulgation de documents confidentiels. Son ancien ministre des Affaires étrangères, Shah Mehmood Qureshi, s’est vu infliger la même peine dans un jugement rendu depuis le centre pénitentiaire d’Adiala à Rawalpindi, au sud d’Islamabad, la capitale. Imran Khan y est déjà emprisonné depuis le mois d’août, confronté à des accusations dans des dizaines d’affaires.

La décision du jour est «inconstitutionnelle et contraire au principe même de la justice», dénonce Salman Safdar, l’avocat d’Imran Khan. Selon lui, l’équipe légale de l’ancien chef d’Etat n’a pas été autorisée à l’assister pendant toute la durée du procès. Son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) ou Mouvement du Pakistan pour la justice, dénonce un «simulacre de justice» et a annoncé sa volonté de faire appel.

Cette annonce, qui survient à moins de dix jours des élections législatives et provinciales qui se tiendront le 8 février dans ce pays de 230 millions d’habitants, est une véritable claque pour le PTI. Bien que très populaire, cette organisation politique, déjà affaiblie par les attaques et les accusations régulières de ses détracteurs, pourrait en souffrir dans les urnes. Dans un communiqué publié sur Twitter (rebaptisé X), Imran Khan a néanmoins appelé les électeurs à «prendre leur revanche pour chaque injustice avec leur vote».

Inculpé en vertu de la loi sur les secrets d’Etat

Premier ministre de 2018 à 2022, Imran Khan avait été chassé du pouvoir par une motion de censure votée contre lui après une affaire de cadeaux diplomatiques non déclarés et surtout, selon certains analystes, pour avoir perdu le soutien de l’armée. Il avait alors été interdit de candidature électorale pour une durée de cinq ans. Depuis, cet ancien de la jet-set londonienne accuse l’establishment militaire d’être à l’origine des poursuites judiciaires qui le visent, et de vouloir l’empêcher de reprendre la tête du pays.

Depuis, il a tout fait pour tenter de reconquérir le pouvoir. Et c’est d’ailleurs ce pourquoi il a été condamné mardi. Lors d’une manifestation en 2022, il avait brandi un câble diplomatique, c’est-à-dire un document crypté échangé entre l’ambassade du Pakistan aux Etats-Unis et le ministère des Affaires étrangères, censé prouver l’existence d’un complot à son égard fomenté par les militaires et le gouvernement américain. Bien que les Etats-Unis et le Pakistan aient tous deux démenti ces accusations, ce document aurait dû rester confidentiel. L’ancien Premier ministre a donc été inculpé en vertu de la loi sur les secrets d’Etat.

Fin de l’exil pour Nawaz Sharif

L’arrestation d’Imran Khan en mai 2023 avait provoqué la colère de ses partisans dans tout le pays. S’en était suivi un important mouvement de protestation des militants du PTI, durement réprimé par les autorités, qui ont interdit leurs rassemblements. La décision a lourdement pénalisé le parti à l’approche du scrutin. Son logo a même été interdit et bon nombre de ses candidats ont été écartés des listes électorales. Largement ignorée par les médias, l’organisation, qui centre son discours autour de la lutte anticorruption, a dû faire campagne sur les réseaux sociaux et a échoué à tenir des meetings politiques en ligne.

Face à un PTI usé par les affaires et fortement réprimé, la droite islamique populiste représentée par la Ligue musulmane du Pakistan (PML‐N), organisation de Nawaz Sharif, essaie de tirer son épingle du jeu. Agé de 73 ans, ce dernier a été trois fois Premier ministre par le passé. Bien qu’il ne soit jamais parvenu à achever un mandat, il est rentré dans son pays en octobre 2023 après quatre années d’exil à Londres. Il avait fui le Pakistan en 2017 après avoir été condamné à 10 ans de prison pour corruption.

Ce retour en fanfare de Nawaz Sharif n’a vraisemblablement pas pu se faire sans un accord avec l’armée. Selon Uzair Yunus, économiste et analyste qui a récemment publié une tribune dans le média pakistanais de référence Dawn, il existe une «alliance solide entre l’establishment militaire et le chef du PML-N, Nawaz Sharif». Alors même que ce dernier accusait encore l’armée en 2022 de l’avoir évincé du pouvoir cinq ans plus tôt pour favoriser la victoire d’Imran Khan. Depuis la partition des Indes en 1947, le Pakistan a été dirigé par plusieurs régimes militaires et l’armée a conservé un pouvoir fort auprès des institutions.

Selon les derniers sondages, le PTI devrait malgré tout arriver largement en tête des élections du 8 février, malgré l’incarcération et la condamnation d’Imran Khan. L’ancien Premier ministre reste extrêmement populaire et fait figure de porte-étendard pour une population fatiguée de la vieille dynastie politique.