«C’est pas bon. Il y a moins de monde que les années précédentes», s’inquiète une militante qui distribue des tracts pour le parti de gauche Hadash-Taal. Une petite foule se presse à l’entrée de l’école Shvirim, à Jaffa, ville mixte dont la population est majoritairement palestinienne de citoyenneté israélienne. Voisine de Tel Aviv, la cité s’était enflammée lors de violentes émeutes, lors de l’escalade de mai 2021.
Nétanyahou, une «marionnette» aux mains de l’extrême droite ?
Ces tensions auraient favorisé la montée de l’extrême droite la plus radicale – une alliance du parti sioniste-religieux et de la formation Force juive. Ce qui inquiète justement Kheir Schnitzer, une Arabe qui s’est mariée à un Juif : «Pour les Palestiniens, que ce soit Nétanyahou ou non, ce sont tous les mêmes. Mais nous sommes mélangés. Personne ne partira nulle part. On veut un leader pour nous dire qu’il y a de l’espoir, et qu’on protège nos droits. Je comprends que les Juifs soient inquiets. Mais l’extrême droite n’est pas la solution.»
De l’autre côté de l’agglomération, le centre de Tel-Aviv est le bastion des partis travailliste et Meretz, de gauche. Trois jeunes activistes, à peine sortis de l’adolescence, attendent les bras ballants, affalés comme si le poids du monde pesait sur leurs épaules. Le plus jeune, Eyal Tsanir, 17 ans, harangue les passants. «Même si je ne peux pas voter, je peux convaincre des électeurs. C’est un scrutin très dangereux. Ben Gvir et Smotrich peuvent devenir ministres, et on a peur que Benyamin Nétanyahou soit une marionnette entre leurs mains.» Les deux leaders d’extrême droite, Bezalel Smotrich, chef du parti sioniste-religieux, idéologue structuré aux troupes pléthoriques, et Itamar Ben Gvir, leader de Force juive, provocateur impénitent repoussant sans cesse les limites, sont promis à un score jamais vu dans l’histoire du pays. Ils sont appelés à être les faiseurs de rois dans le prochain gouvernement. Le premier veut le portefeuille de la Justice, pour mettre à bas l’Etat de droit israélien, le second veut l’Intérieur, et compte bien alléger au strict minimum les règles d’engagement des forces de sécurité.
Places de parking
Dans le centre de Tel-Aviv, les passants défilent. Rares sont ceux qui s’arrêtent. Personne ne rentre dans le bureau de vote. Il est 20 h 30. Il reste encore deux heures aux électeurs pour se déplacer. Aux terrasses des bars, dans la rue levantine, l’inquiétude devant les bureaux de vote n’a pas sa place. Quelques éclats de rire, des voix joyeuses, dans la ville calme. On trouve même des places de parking. Une jeune femme, à la table d’un restaurant, hausse les épaules : «Bien sûr, la situation est grave. J’ai voté. Mais que peut-on y faire ? On est coincés. C’est la cinquième élection en quatre ans.»
Israël est pris au piège par un Nétanyahou qui refuse de quitter la vie politique. Les scrutins se succèdent, le blocage persiste. En juin 2021, le gouvernement dit du «changement», a tenté de trouver une issue en formant une coalition hétéroclite de partis de gauche, centristes, de droite, ainsi qu’une formation islamiste palestinienne, pour le déloger. Pari réussi. Pour la première fois depuis douze ans, le Premier ministre à la plus grande longévité de l’histoire du pays a dû quitter le pouvoir.
Il pourrait bien le reprendre. A 22 heures, les premiers sondages de sortie des urnes sont publiés. Tous concordent : le bloc de Benyamin Nétanyahou est majoritaire, entre 61 et 62 sièges sur les 120 que compte la Knesset. L’alliance Smotrich-Ben Gvir grimpe à 14 sièges. L’extrême droite israélienne, celle qui a toujours été contre le processus de paix, les accords d’Oslo ou la solution à deux Etats, n’a jamais été aussi puissante.
Maigre consolation
Déception pour Yair Lapid, le Premier ministre actuellement en fonction et chef du parti Yesh Atid. Celui qui a réussi à faire tomber Nétanyahou a mené une campagne éclair, tentant de prendre des voix à ses partenaires de gauche, sans pour autant les mettre hors-jeu. Il espérait faire jeu égal avec le Likoud. C’est un échec. A 24 sièges selon les premières estimations, contre 31 pour son challenger, il ne pourra pas rattraper son retard. Seule et maigre consolation pour Yair Lapid : le score de son adversaire est lui aussi médiocre, ses voix ayant été phagocytées par le parti sioniste-religieux et Force juive.
Tout n’est pas perdu, cependant, pour la coalition anti-Nétanyahou. Un petit parti arabe israélien, Balad, pourrait dans la nuit dépasser le seuil de représentativité, entrer ainsi à la Knesset, et donc faire trébucher Bibi au seuil de son retour au pouvoir. Le même scénario s’est déjà produit lors des dernières élections, avec la formation islamiste Ra’am. Mais ce cas de figure ne donnera pas une majorité à Yair Lapid pour autant. En attendant les résultats définitifs, Israël semble être limité à deux choix : un nouveau blocage, ou un dégagement par l’extrême droite.