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Conflit

En Syrie, les Druzes visés par une vague de violences au sud de Damas

Les affrontements entre des groupes armés islamistes plus ou moins liés au nouveau pouvoir syrien et des miliciens de la minorité druze ont fait plus de 100 morts depuis mardi.
Des membres des forces de sécurité syriennes, à Sahnaya , dans la banlieue de Damas, ce jeudi 1er mai. (Ghaith Alsayed/AP)
publié le 1er mai 2025 à 15h40

La guerre est de retour dans la banlieue de Damas. Depuis lundi, des affrontements entre des brigades armées liées au pouvoir syrien et des combattants druzes ont fait plus de 100 morts depuis mardi soir, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Près de deux mois après le massacre des Alaouites dans les régions côtières, les heurts de cette semaine réveillent le spectre d’un déchirement du pays selon des lignes communautaires.

L’étincelle a été la diffusion d’un message audio sur WhatsApp, attribué (sans doute à tort) à un cheikh druze, blasphémant contre le prophète Mahomet. En réaction, très vite, des appels de haines contre cette minorité – le druzisme est un mouvement religieux ésotérique issu de l’ismaélisme, sous-branche de l’islam d’obédience chiite – ont circulé massivement sur les réseaux sociaux. Dans la soirée du lundi 28 avril, des hommes armés et cagoulés criant vengeance ont déboulé à Jaramana, un quartier à majorité druze au sud de la capitale. C’est là-bas que les premiers heurts ont éclaté.

Appel au calme

Le clerc druze incriminé a démenti être l’auteur de l’enregistrement. Le ministère de l’Intérieur a déclaré qu’il enquêtait sur l’origine du message audio et semble également écarter la piste du cheikh druze. Le nouveau pouvoir de Ahmed al-Charaa, qui a renversé le régime de Bachar al-Assad en décembre, a eu beau lancer un appel au calme et rappeler son «engagement ferme à protéger toutes les composantes du peuple syrien, y compris la communauté druze», la situation a dégénéré.

Des centaines d’hommes druzes de Jaramana, armés, se dont déployés sur des barrages improvisés pour défendre leur quartier. Des miliciens venus d’autres régions druzes (ils représentent environ 3 % de la population syrienne) sont venus leur prêter main-forte. Parallèlement, des combattants sunnites anciennement membres de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le mouvement rebelle islamiste d’Ahmed al-Charaa formellement dissous le 29 janvier, se sont rués vers Jaramana pour «venger» l’affront fait au prophète.

Ces combattants sont-ils des membres des nouvelles forces de sécurité syriennes – qui ont intégré un nombre conséquent d’ex-jihadistes ? Appartiennent-ils à des groupes islamistes radicaux qui évoluent en dehors des structures officielles ? Ou bien sont-ils quelque part entre les deux, formellement rattachés au nouveau pouvoir de Damas, mais échappant dans les faits à son contrôle ? Les mêmes interrogations avaient été soulevées après les tueries de début mars perpétrées contre les membres de la communauté alaouite dont est issu l’ancien président Bachar al-Assad. Elles avaient fait, en quelques jours, plus de 1 700 morts.

«Groupes hors-la-loi»

Mardi, les heurts se sont propagés à Sahnaya, autre quartier de la banlieue sud de la capitale. Selon l’ONG, 30 membres des forces de sécurité du pouvoir islamiste et combattants affiliés ont été tués, ainsi que 21 combattants druzes et 10 civil lors d’affrontements dans les banlieues de Jaramana et Sahnaya. Le gouvernement a annoncé le déploiement de militaires à Jaramana et Sahnaya pour «rétablir l’ordre», accusant des «groupes hors-la-loi» d’avoir provoqué les violences et menaçant de «frapper d’une main de fer tous ceux qui cherchent à saper la stabilité de la Syrie». Un accord entre des chefs druzes et le pouvoir de Damas a été annoncé et médiatisé à la hâte mardi soir pour faire retomber la tension.

Mais les violences n’ont pas cessé pour autant. Mercredi, 40 combattants druzes qui tentaient de rejoindre Sahnaya depuis Soueïda, le fief des Druzes syriens dans le sud du pays, ont été tués «par les forces de sécurité, et des hommes armés qui leur sont affiliés», dont 35 dans une embuscade, affirme l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Jeudi, le cheikh Hikmat al-Hajri, la plus haute autorité spirituelle des Druzes de Syrie, a dénoncé une «campagne génocidaire» contre sa communauté, visant des «civils à leur domicile». «Nous ne faisons plus confiance à une entité qui prétend être un gouvernement, a-t-il lancé. Un gouvernement ne tue pas son peuple en recourant à ses propres milices extrémistes, puis, après les massacres, prétend que ce sont des éléments incontrôlés.»

Frappes israéliennes

Israël, hostile au nouveau pouvoir syrien, s‘est invité dans cette séquence hautement inflammable en menant des bombardements aériens autour de Sahnaya mercredi. Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et son ministre de la Défense, Israël Katz, ont qualifié l’opération d’ «action d’avertissement» contre un «groupe extrémiste qui se préparait à attaquer la population druze de Sahnaya». Depuis la chute du régime Assad, l‘Etat hébreu se pose en défenseur de la communauté (il existe aussi une minorité druze en Israël).

L’armée israélienne, qui a pris le contrôle d’une portion du Golan syrien à la faveur de l’effondrement de l’ancien régime, a annoncé se tenir prête à frapper des cibles du pouvoir syrien si «la violence contre la communauté druze persistait». Elle a par ailleurs affirmé avoir évacué trois Druzes syriens, blessés dans les heurts près de Damas, vers Israël.

Le même jour, le Libanais Walid Jumblatt, leader politique druze historique, respecté de part et d’autre de la frontière, a appelé les membres de la communauté en Syrie à «rejeter toute ingérence israélienne». La France a enjoint «Israël à ne pas conduire d’actions unilatérales susceptibles d’aggraver les tensions communautaires».

Mis à jour le 01/05/2025 à 17h45 avec le dernier bilan des exactions.