Un visiteur controversé, accueilli avec les honneurs de la Garde républicaine. Emmanuel Macron a exhorté ce mercredi 7 mai à Paris le président syrien, Ahmed al-Charaa, à protéger «tous les Syriens sans exception», faisant visiblement le pari d’accompagner la transition dirigée par une coalition islamiste depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre. Le chef d’Etat en a profité pour répondre aux critiques de la classe politique en justifiant la réception à l’Elysée de ce dirigeant au passé djihadiste.
«Stupeur et consternation», avait réagi la leader du Rassemblement national, Marine Le Pen. «On ne reçoit pas des dirigeants qui sont d’anciens terroristes membres d’organisations qui veulent attaquer la France», avait également affirmé le chef des députés Les Républicains, Laurent Wauquiez. Autant de «postures à des fins politiciennes pour parler à des électorats», a balayé le chef de l’Etat.
Reportage
«Ce que je vois, c‘est qu’il y a un dirigeant qui est en place. Il a mis fin à un régime que nous avions condamné, combattu, dont nous connaissons la responsabilité et il est prêt à s’engager. Les premiers actes ont conduit à des résultats», a-t-il ajouté, estimant qu’Ahmed al-Charaa était «lucide». Dans le même temps, plusieurs dizaines de membres des minorités religieuses syriennes manifestaient la place de la République, à Paris, sous le drapeau syrien. «Jolani dégage ! Dégage de France, dégage de Syrie !» ont crié les manifestants issus des communautés alaouites, druzes, chrétiennes ou encore sunnites, en utilisant l’ex-nom de guerre d’Ahmed al-Charaa.
1 700 morts
Le président Ahmed al-Charaa a longtemps dirigé le groupe armé Hayat Tahrir al-Sham issu de l’ex-branche d’Al-Qaeda en Syrie. Il a tenu à se démarquer des «actes terroristes», notamment de ceux menés en France par des jihadistes passés en Syrie.
A ses côtés lors d’une rare conférence de presse conjointe, après un entretien de plus de deux heures, Emmanuel Macron a par ailleurs demandé au président syrien, qui effectuait alors sa première visite officielle dans un pays occidental, de «tout mettre en œuvre pour assurer la protection de tous les Syriens sans exception, quelles que soient leur origine, leur religion, leur confession, leurs opinions». Il lui a aussi dit qu’il devait «s’assurer que les auteurs» des récentes violences soient «poursuivis et jugés». Il a même plaidé pour que l’Union européenne «sanctionne systématiquement les auteurs de ces crimes qui ont profondément choqué tous les amis de la Syrie».
Analyse
Des massacres qui ont fait 1 700 morts, majoritairement alaouites, dans l’ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes, et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés. Et ce alors même que la coalition islamiste tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l’exhorte à respecter les libertés et protéger les minorités.
«Partenaire fiable»
La sécurité des Syriens est «la première priorité», a assuré Ahmed al-Charaa à l’Elysée. Il a aussi martelé qu’il n’y aurait «pas de place pour les confrontations confessionnelles» en Syrie, et a estimé avoir «prouvé» être «un partenaire fiable pour la lutte contre le terrorisme».
En jeu, la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar al-Assad, qui pèsent lourdement sur l’économie du pays, exsangue après quatorze années de guerre civile, avec, selon l’ONU, 90 % des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté. «Rien ne justifie qu’elles soient maintenues», a lancé le président syrien.
Emmanuel Macron a abondé dans son sens : il a plaidé pour une «levée des sanctions» économiques européennes dès juin, et a appelé les Etats-Unis à en faire autant, quitte à refaire le point régulièrement pour voir si Damas tient ses engagements. Il a aussi estimé que Washington devait retarder «au maximum» le retrait annoncé de la moitié de leurs militaires déployés en Syrie dans le cadre de la coalition contre les jihadistes du groupe Etat islamique.