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Famine à Gaza : les Etats-Unis commencent les largages aériens de vivres, l’efficacité de la méthode en question

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Après une annonce vendredi de Joe Biden, les Etats-Unis ont réalisé leurs premiers largages de nourriture par les airs. Mais ces ravitaillements aériens, risqués et plus coûteux que par la route, ne seraient «utiles qu’à la marge».
Un avion largue de l'aide au-dessus de Gaza, vendredi 1er mars. (Kosay Al Nemer/REUTERS)
publié le 2 mars 2024 à 14h47
(mis à jour le 2 mars 2024 à 15h57)

Depuis les tirs israéliens qui ont provoqué jeudi la mort d’une centaine de civils palestiniens pendant une distribution d’aide humanitaire, la voie terrestre pour acheminer des vivres à la population semble de plus en plus impraticable. Ce samedi 2 mars, les Etats-Unis ont commencé les largages aériens d’aide sur Gaza. Trois avions militaires ont largué de la nourriture, afin d’«aider les civils affectés par le conflit actuel», a déclaré un responsable du Pentagone. Les avions ont largué «66 paquets contenant des repas sans porc» ce samedi après-midi heure locale à Gaza, a dit ce responsable, ajoutant ne pas pouvoir préciser le poids total. Le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient a ensuite précisé que ces colis contenaient plus de 38 000 repas, largués «le long de la côte de Gaza», et que l’opération avait été menée en coopération avec la Jordanie.

Le président américain, Joe Biden, avait annoncé la veille que son pays allait participer «dans les prochains jours» à des livraisons par les airs. «Nous allons nous joindre à nos amis de Jordanie et autres en opérant des largages de nourriture et autres biens [sur Gaza].»

Des avions militaires étrangers parachutent déjà des palettes de vivres depuis le début de la guerre le 7 octobre. C’est le cas de la Jordanie qui affrète la plupart des appareils, avec le soutien de pays tels que la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Jeudi, plusieurs appareils égyptiens ont fait de même ainsi que des avions des Emirats arabes unis.

Imad Dughmosh, d’Al-Sabra, un homme de 44 ans a pu bénéficier de cette aide venue du ciel dans le centre de la bande de Gaza. Il a ainsi reçu de l’eau potable et de la nourriture grâce à ces largages, mais selon lui, il n’y en avait pas assez pour tous ceux qui attendaient. «J’ai pu récupérer des sacs de pâtes et de fromage, raconte-t-il, mais mes cousins n’ont rien eu. J’étais content d’avoir de la nourriture pour les enfants, mais ce n’est pas assez.»

La plupart des parachutes tombent dans la mer

Ces largages ne sont pas une solution miracle. D’abord, ils ne représentent qu’une goutte d’eau face aux besoins des populations palestiniennes. Ensuite, outre les risques liés à l’envoi de lourds colis dans des zones surpeuplées, ils manquent souvent leur cible. Des habitants de Gaza ont raconté que de nombreuses palettes avaient fini dans la Méditerranée. «Les parachutes [envoyés] jeudi et mercredi sont tous tombés dans la mer à l’exception d’un très petit nombre», a indiqué Hani Ghabboun, qui vit à Gaza-City avec sa femme et ses cinq enfants. Selon lui, ce sont des «centaines de tonnes d’aide qu’il faudrait pour lutter contre la famine et nourrir la population».

Ces ravitaillements aériens peuvent également se révéler très coûteux. Un avion peut larguer l’équivalent du chargement de deux camions, mais pour un coût dix fois supérieur, a expliqué vendredi Jeremy Konyndyk, président de l’ONG Refugees International à la BBC. Selon lui, les parachutages ne peuvent donc «être utiles qu’à la marge». Jens Laerke, porte-parole de l’agence de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) confirme : un largage n’a pas l’efficacité d’un convoi terrestre, «tout simplement meilleur, plus efficace et moins coûteux». Jusqu’à présent, les Etats-Unis, premier soutien d’Israël, n’avaient d’ailleurs pas procédé à de tels largages d’aide jugeant leur efficacité limitée.

Près d’un millier de camions bloqués à la frontière égyptienne

Les organisations humanitaires estiment que la meilleure solution serait qu’Israël ouvre les points de passage frontaliers et permette aux convois de camions d’entrer et de livrer en toute sécurité. Un porte-parole du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré à des journalistes que près d’un millier de camions attendaient à la frontière égyptienne. Les Nations unies accusent les forces israéliennes de bloquer «systématiquement» l’accès à Gaza, ce qu’Israël nie. «Plutôt que larguer de la nourriture depuis les airs, nous devrions exercer une forte pression sur le gouvernement israélien pour qu’il permette l’acheminement de l’aide par des canaux plus traditionnels, qui permettent de fournir une aide à plus grande échelle», a-t-il estimé.

La situation des habitants de Gaza ne fait qu’empirer. La population fait face à de graves pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments. Dans le nord du territoire, où l’offensive israélienne a commencé, des Palestiniens en sont même réduits à manger du fourrage. Selon le ministère de la Santé, contrôlé par le Hamas, dix enfants seraient déjà morts de «malnutrition et de déshydratation».

«Les responsabilités sur le blocage de l’aide sont clairement israéliennes», souligne dans le Monde de son côté Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, notant que la situation humanitaire catastrophique «crée des situations indéfendables et injustifiables dont les Israéliens sont comptables». La France aurait par ailleurs redoublé d’efforts auprès des autorités israéliennes pour augmenter le nombre de points de passage et de camions humanitaires. Mais ceux-ci «n’ont pas été satisfaits» et «la famine ajoute à l’horreur», déplore le chef de la diplomatie française qui s’était rendu dans la région il y a un mois.

Mise à jour à 15h55 : avec le début du largage de vivre par les Etats-Unis.