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Libération
Crimes de guerre

Gaza : un hôpital visé et des journalistes tués, les bombardements continuent dans l’enclave

Une double attaque israélienne sur l’établissement de santé Nasser, dans le sud de l’enclave, a fait au moins 20 morts, dont cinq reporters, et des dizaines de blessés ce lundi 25 août. Dans un rare mea culpa, Tsahal annonce ouvrir une enquête.
Un photojournaliste de l'agence Reuters blessé lors des frappes sur l'hôpital Nasser, ce lundi 25 août. (AFP)
publié le 25 août 2025 à 11h50
(mis à jour le 25 août 2025 à 19h01)

L’image est insupportable. On y voit des secouristes et des journalistes se précipiter dans un escalier de l’hôpital Nasser, le dernier opérant dans le sud de Gaza. Les premiers pour extraire d’éventuelles victimes des gravats, les seconds pour couvrir cette énième attaque israélienne contre un établissement de santé. Puis tout disparaît dans un fracas de fumée et de débris projetés.

Selon le porte-parole de l’organisation dispensant les premiers secours, Mahmoud Bassal, l’hôpital a d’abord été visé par un drone explosif contre les étages supérieurs, avant d’être bombardé alors qu’étaient évacués les blessés. Il fait état d’un bilan de 20 morts, dont des personnels soignants, des secouristes et cinq journalistes. Il y aurait aussi des dizaines de blessés, dont certains visages ensanglantés tapissent les réseaux sociaux qui s’indignent de cette double frappe meurtrière.

Plusieurs médias internationaux ont rapidement confirmé la mort de leurs collaborateurs. L’agence canado-britannique Reuters s’est dite «dévastée d’apprendre le décès de Hussam al-Masri», journaliste reporter d’image. Associated Press est, quant à elle, «choquée et attristée» du décès de Mariam Dagga, 33 ans, une photographe indépendante qui collaborait avec l’agence depuis le début de la guerre. Le syndicat des journalistes palestiniens a identifié deux autres victimes comme Moaz Abou Taha, qui travaillait pour la chaîne NBC, et Ahmad Abou Aziz. Enfin, Al-Jazeera a aussi déploré la mort d’un de ses reporters d’images, Mohammad Salama, deux semaines à peine après la mort de six de ses collaborateurs dans une frappe ciblée de Tsahal.

Les témoins de la guerre disparaissent

Il y a quinze jours, l’armée israélienne avait justifié cette attaque en assurant qu’un des reporters en question était un membre actif de la branche armée du Hamas, ce que la chaîne avait catégoriquement réfuté. Cette fois-ci, dans une rare expression d’excuse, Tsahal a assuré ouvrir une enquête sur cette «frappe dans les environs de l’hôpital Nasser», affirmé ne pas vouloir cibler «les journalistes en tant que tels», et regretté «tout dommage causé à des personnes non impliquées». Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a de son côté déploré un «accident tragique» et assuré qu’«Israël attache de l’importance au travail des journalistes, de même qu’au personnel médical et à tous les civils». Avant d’ajouter : «Nos objectifs légitimes sont de vaincre le Hamas et de ramener nos otages à la maison.» «Trop de journalistes ont été tués à Gaza sans la moindre justification», s’est indigné depuis Jérusalem l’Association de la presse étrangère (FPA), qui réclame de véritables «explications».

Quel que soit le résultat de cette investigation, si la guerre continue dans la bande de Gaza, il ne restera bientôt plus de témoins pour en rendre compte. Soit parce qu’ils meurent et s’ajoutent à la liste des plus de 62 000 personnes tuées depuis le début des opérations militaires israéliennes qui ont suivi le 7 Octobre. Selon les organisations, entre 200 et 244 journalistes ont été tués à Gaza au cours des derniers mois. Soit parce qu’ils n’ont plus la force de faire leur travail. C’est ce qu’expliquaient certains collaborateurs de l’Agence France-Presse, fin juillet, dans un témoignage déchirant. Ils se disaient trop affaiblis par la famine – officiellement déclarée par l’ONU vendredi 22 août – causée par le blocage systématique depuis début mars de l’aide humanitaire par l’armée israélienne.

Interdite d’accès à l’enclave, la presse internationale peine de plus en plus à rendre compte du drame humanitaire à Gaza. Les seuls journalistes étrangers qui ont foulé les ruines de l’enclave l’ont fait encadrés par Tsahal, dans des visites organisées pour montrer les tunnels du Hamas, ou d’autres preuves censées justifier ses opérations sur cette bande de terre déjà dévastée par bientôt deux ans de guerre. Un blocus médiatique qui permet aux autorités israéliennes d’avancer leur propre récit du conflit – niant notamment la famine, et justifiant toutes les bavures de son armée par la nécessaire éradication du Hamas. Et surtout d’étouffer peu à peu l’attention autour de l’enclave palestinienne.

«L’inaction du monde»

Réagissant à l’attaque de ce lundi contre l’hôpital Nasser, Philippe Lazzarini, chef de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA), a dénoncé une frappe qui vise à «faire taire les dernières voix qui dénoncent la mort silencieuse d’enfants victimes de la famine», et s’est indigné de «l’indifférence et de l’inaction du monde». «L’assassinat de journalistes à Gaza devrait choquer le monde, non pas en le plongeant dans un silence stupéfait mais en le faisant agir», a insisté Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

En fin d’après-midi, Emmanuel Macron a jugé la frappe israélienne «intolérable» et a appelé Israël à «respecter le droit international». «Les médias doivent pouvoir exercer leur mission de façon libre et indépendante pour couvrir la réalité du conflit», a ajouté le président français à l’issue d’un entretien téléphonique avec l’émir du Qatar. Auparavant, Londres avait appelé à «protéger» les professionnels de santé et les journalistes, de même que Berlin, pour qui «cette attaque doit faire l’objet d’une enquête». Même Donald Trump, le président américain, a déclaré qu’il fallait «en finir avec tout ce cauchemar». Mais les inquiétudes des chancelleries occidentales ne suffisent pas à infléchir la ligne de Benyamin Nétanyahou. Plutôt que de céder aux appels à la désescalade, le Premier ministre israélien accuse les dirigeants qui ont annoncé leur intention de reconnaître un Etat palestinien, comme la France, de faire le jeu du Hamas, et de ne pas lutter suffisamment contre l’antisémitisme dans leurs pays respectifs.

Selon le Haaretz, le gouvernement israélien ignore même les conseils de son propre état-major. La semaine dernière, le ministre de la Défense a approuvé le lancement d’une nouvelle opération, «Gédéon II», dans la ville de Gaza, qui pourrait durer des mois. Plusieurs hauts gradés avaient pourtant alerté sur le risque qu’une telle opération faisait courir pour les otages israéliens, et conseillé au gouvernement de négocier un accord partiel avec le Hamas pour libérer les derniers encore en vie. Sans succès.

Mise à jour le 25 août à 19h55 avec la réaction de Benyamin Nétanyahou.