Menu
Libération
Opération militaire

Guerre à Gaza : Israël ordonne de nouvelles évacuations à Rafah pour étendre son offensive

Dans un message diffusé ce samedi, un porte-parole de l’armée israélienne appelle les habitants de certaines zones de la ville palestinienne surpeuplée à fuir. Une «catastrophe humanitaire colossale» se profile, avertit l’ONU.
Des civils en train de quitter Rafah, dans la bande de Gaza, vendredi 10 mai. (Photo/AFP)
publié le 11 mai 2024 à 9h51
(mis à jour le 11 mai 2024 à 20h13)

Sourd aux multiples appels internationaux, Israël se prépare à étendre son offensive terrestre à Rafah. Ce samedi 11 mai, l’armée israélienne a ainsi appelé les habitants de plusieurs quartiers supplémentaires de la ville surpeuplée du sud de Gaza à évacuer, et à se rendre dans la «zone humanitaire élargie» d’al-Mawasi, selon un message publié en arabe sur X par un porte-parole de Tsahal.

«D’autres quartiers» que ceux évacués ces derniers jours «ont été le théâtre d’activités terroristes du Hamas ces derniers jours et ces dernières semaines», assure Avichay Adraee, exhortant les habitants à fuir «immédiatement». Un message également relayé sur le terrain via des tracts, SMS et messages vocaux envoyés par l’armée israélienne.

Dans le même message posté sur X, le porte-parole de Tsahal demande aussi aux habitants et déplacés de la région de Jabalia, Beit Lahia et des environs, à l’extrémité nord de l’enclave, d’évacuer et de se rendre «immédiatement dans les abris à l’ouest de la ville de Gaza». «Vous êtes dans une zone de combat dangereuse. Le Hamas tente de reconstruire ses capacités dans la région», indique le communiqué, qui prévient que Tsahal va opérer «avec une grande force» dans la région. «Tous ceux qui se trouvent dans ces zones s’exposent, ainsi que leurs familles, au danger», est-il écrit.

Ces ordres d’évacuation de civils coincés à Rafah vers des zones dangereuses sont pour l’UE «inacceptables», a fustigé ce samedi soir le président du Conseil européen, Charles Michel. «Nous appelons le gouvernement israélien à respecter le droit humanitaire international et l’exhortons à ne pas entreprendre d’opération terrestre à Rafah», a-t-il ajouté sur X.

Fuite chaotique

Mardi, l’armée israélienne a pris le contrôle du côté palestinien du poste-frontière de Rafah entre la bande de Gaza et l’Egypte dans le cadre d’une «opération précise et ciblée» contre le mouvement islamiste, après avoir ordonné la veille l’évacuation de quartiers est de la ville. Signe du chaos et de l’incertitude qui règnent sur place, Tsahal affirme ce samedi qu’environ 300 000 Palestiniens ont quitté Rafah depuis lundi pour se rendre dans la zone d’al-Mawasi. L’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, l’UNRWA, estime quant à elle que «150 000 personnes ont fui Rafah depuis lundi, à la recherche de la sécurité là où il n’y en a pas», et que 300 000 sont désormais concernés par les ordres d’évacuation dans le nord et le sud de Gaza.

«Quelque 30 000 personnes fuient [Rafah] chaque jour», indiquait de son côté vendredi le responsable du bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) pour Gaza, Georgios Petropoulos. La plupart «ont déjà dû se déplacer à cinq ou six reprises» depuis le début de la guerre, déclenchée par l’attaque terroriste sanglante menée le 7 octobre par le Hamas dans le sud d’Israël.

Fuyant par tous les moyens, à pied, dans des charrettes tirées par des ânes, à bord de voitures ou de camions, transportant quelques affaires personnelles, la plupart de ces habitants se sont réfugiés dans ladite «zone humanitaire élargie» d’al-Mawasi, à une dizaine de kilomètres de Rafah. Des travailleurs humanitaires sur place y dénoncent des conditions de vie «horribles».

Alors que la prise de contrôle du terminal de Rafah par Tsahal a verrouillé une porte d’entrée névralgique pour les convois d’aide humanitaire, et que les combats et bombardements compliquent encore davantage la mission des ONG, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a averti qu’une offensive terrestre massive sur Rafah conduirait à une «catastrophe humanitaire colossale». Samedi, d’intenses frappes aériennes ont visé un secteur proche du point de passage avec l’Egypte, ont indiqué des témoins. D’autres bombardements ont eu lieu dans le nord de la bande de Gaza.

«Anéantir» le Hamas à tout prix

Pour l’heure, les incursions menées par Israël à Rafah n’ont pas encore atteint le stade de l’offensive terrestre à grande échelle, que l’Etat hébreu et son Premier ministre Benyamin Nétanyahou répètent depuis des semaines avoir l’intention de mener. Mais ce nouvel appel à évacuer suggère qu’après une première phase dans l’est de Rafah, où de violents combats ont opposé ces derniers jours soldats israéliens et militants du Hamas, Tsahal compte désormais étendre son «opération antiterroriste de précision» à plusieurs secteurs du centre de Rafah. Avant, sans doute, une avancée progressive dans l’ensemble de la ville, où l’armée israélienne estime que se terrent les forces restantes du Hamas et ses dirigeants, dont Yahya Sinwar.

Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne mène une offensive tous azimuts dans la bande de Gaza pour «anéantir» à tout prix le Hamas, responsable du massacre qui a causé la mort, côté israélien, de plus de 1 170 personnes, en majorité des civils. Plus de 250 personnes ont également été enlevées et 128 restent captives à Gaza, dont 36 sont mortes, selon Tel-Aviv. La riposte sans précédent d’Israël a fait à Gaza près de 35 000 morts, majoritairement des femmes et des enfants, selon les autorités gazaouies, qui ne font pas la distinction entre morts civils et combattants.

Mené depuis des mois à Doha et au Caire, avec la médiation de l’Egypte, du Qatar et des Etats-Unis, les pourparlers visant à arracher une trêve permettant une pause dans les combats, la libération des otages en échange de prisonniers palestiniens, ainsi qu’un afflux massif d’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne détruite à 80 %, n’ont pour l’heure pas abouti. Une nouvelle session de négociations s’est achevée jeudi dans la capitale égyptienne, sans parvenir à un accord.

Vaines pressions de Biden

En campagne pour sa réélection, le président américain Joe Biden, soutien principal d’Israël, fait face à l’impossible défi de fédérer à nouveau derrière lui la coalition démocrate qui l’avait porté à la Maison Blanche en 2020, aujourd’hui fracturée par le rôle des Etats-Unis dans le carnage en cours à Gaza. Du Congrès aux universités, de nombreuses voix s’élèvent dans le camp démocrate pour réclamer la suspension de l’aide militaire des Etats-Unis à l’Etat hébreu.

Depuis des semaines, Joe Biden et son administration multiplient les appels à la retenue et exhortent Benyamin Nétanyahou à ne pas mettre à exécution sa menace d’offensive terrestre majeure à Rafah. Mercredi soir, lors d’un entretien à CNN, le président démocrate a joint les actes à la parole, en affirmant qu’il ne livrerait à son allié israélien d’armes offensives, notamment des «bombes et des obus d’artillerie» en cas d’offensive plus importante à Rafah. S’attirant aussitôt de vives critiques des Israéliens et de l’opposition républicaine.

Vendredi, la Maison Blanche a dit observer «avec préoccupation» les opérations militaires israéliennes en cours à Rafah, tout en jugeant qu’elles restaient à ce stade limitées et ne franchissaient donc pas la ligne rouge tracée par Washington. «Je n’irais pas jusqu’à dire que ce que nous avons vu dans les dernières vingt-quatre heures signale une invasion à grande échelle ou une opération terrestre majeure», a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

L’appel israélien lancé ce samedi à de nouvelles évacuations à Rafah semble, de ce point de vue, illustrer une nouvelle fois le refus de Benyamin Nétanyahou de se laisser dicter sa conduite par Washington. «Si nous devons tenir seuls, nous tiendrons seuls. Je l’ai déjà dit, s’il le faut, nous combattrons avec nos ongles», a-t-il martelé jeudi.

Mis à jour à 16 h 57 avec frappes intenses signalées samedi à Rafah ; à 20 h 13 avec la condamnation de Charles Michel.