Dans la bande de Gaza, la communauté des organisations humanitaires pleure à nouveau l’un des siens. Suhail Abu Hasira, 52 ans, travaillait depuis huit ans au service de l’ONG Secours islamique France (SIF) quand il a trouvé la mort, en début de semaine, tué dans un bombardement israélien alors qu’il se trouvait dans l’immeuble de sa famille, à proximité de l’hôpital Al-Shifa, visé par une opération militaire meurtrière depuis le 18 mars. Une frappe dévastatrice à laquelle ont succombé aussi la femme de Suhail Abu Hasira, ses huit enfants, ses parents et une vingtaine de membres de sa famille élargie, selon le SIF, qui a appris la nouvelle mardi 26 mars. «Depuis plusieurs jours, ils n’arrivaient pas à quitter leur appartement à cause des bombes et des tanks partout autour, raconte Adel Kaddum, chef de mission de l’ONG à Gaza. Désormais, leur immeuble est complètement détruit et ils sont toujours sous les décombres. Ils n’ont pas été enterrés. C’est tellement triste.»
Suhail Abu Hasira est le premier employé du SIF tué depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, où plus de 32 000 personnes ont péri en près de six mois, selon le ministère de la Santé de l’enclave, contrôlé par le Hamas. Technicien dans la climatisation de formation, le Palestinien avait été embauché comme chauffeur par l’organisation humanitaire, dont le personnel sur place s’établit à une quarantaine de personnes. Dans un contexte de guerre, il était chargé du transport des équipes et participait à la distribution de l’aide alimentaire.
«Tout le monde est anéanti»
«C’était un travail dangereux. Mais Suhail était quelqu’un de très volontaire pour aider, et de très gentil. Tout le monde l’aimait. La seule chose qu’il voulait, c’est un avenir décent pour ses enfants», regrette Adel Kaddum, depuis l’Egypte où il se trouve désormais. Le défunt appartenait à la famille élargie d’Hala Abou Hassira, l’ambassadrice de Palestine en France – une famille historique de l’enclave, établie dans le quartier du port. «L’horreur est absolue depuis huit jours dans la ville de Gaza», a alerté la diplomate sur le réseau social X, dénonçant «l’intention génocidaire» de l’Etat hébreu.
«Tout le monde est anéanti, bouleversé. Mais, honnêtement, on s’attendait un peu à ce que cela puisse arriver un jour», confie Souleymane Abba Gana, directeur du département des programmes et opérations du SIF à l’international. C’est que les ONG, qui s’efforcent sur le terrain de soulager le sort d’une population menacée par la famine et le désespoir, ont payé depuis le 7 octobre un lourd tribut à la guerre. Depuis le mois de décembre, le SIF est sans nouvelle d’une de ses employées, travailleuse sociale de 41 ans et mère de quatre enfants. Cinq employés de Médecins sans frontières et au moins un superviseur médical de Médecins du monde ont été tués dans des bombardements. Quant à l’UNRWA, l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, détestée par Israël qui l’accuse de complaisance voire de complicité avec le Hamas, elle déplore la mort de plus de 150 de ses membres, sur un total de 13 000 employés environ avant la guerre.
«Un contexte d’insécurité complète»
«Nos équipes continuent de travailler mais elles sont effrayées. Nous cherchons à éviter de faire de grosses réunions, pour ne pas perdre trop de monde d’un coup en cas de bombardement», lâche Adel Kaddum, le chef de la mission du SIF à Gaza. Et son collègue Souleymane Abba Gana d’insister sur les risques liés aux distributions alimentaires, qui attirent de larges foules sous tension, sous la menace des soldats israéliens. «C’est un contexte d’insécurité complète», souligne le responsable associatif, dont l’organisation assure fournir de l’aide à 100 000 personnes dans l’enclave. Fin février, une distribution alimentaire avait viré au carnage : des tirs israéliens avaient causé la mort de plus de 100 Palestiniens, selon les autorités gazaouies – une version contestée par Tsahal, qui avait attribué le drame à un mouvement de foule.
«Encore et encore et encore, nous appelons à un cessez-le-feu, pour mettre fin à cette tragédie et que les innocents comme Suhail et ses enfants ne soient plus tués dans la bande de Gaza», se désespère Adel Kaddum. Le cessez-le-feu, leitmotiv des ONG humanitaires depuis le début de la guerre, a enfin été endossé par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui a adopté lundi une résolution en ce sens, appelant aussi à la libération des quelque 130 otages toujours retenus captifs dans l’enclave palestinienne – 33 d’entre eux seraient morts, selon Israël. Mais sans effet, pour le moment.