De potentiels «crimes de guerre». C’est ainsi que le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a qualifié les frappes israéliennes qui ont visé fin octobre un camp de réfugiés dans la bande de Gaza. Dans l’enclave palestinienne, près de 1,7 million d’habitants détiennent le statut de réfugié, selon les chiffres de l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA). Soit environ 80 % des 2,1 millions de personnes qui habitent le territoire. Une majorité écrasante, amenant des centaines de milliers de personnes à s’entasser dans les huit camps de réfugiés qu’abrite l’enclave palestinienne.
Surpeuplés et démunis, ces camps sont nés de l’exode des Palestiniens, lors de la guerre israélo-arabe. En novembre 1947, les Nations unies approuvent le plan de partage de la Palestine, qui prévoit la création de deux Etats : l’un juif, l’autre arabe. Le conflit qui s’ensuit amène des centaines de milliers de Palestiniens à fuir, forcés de quitter leurs maisons. Et alors que plusieurs se dirigent vers la Jordanie, le Liban ou la Syrie, environ 180 000 personnes trouvent refuge à Gaza, dévolue à l’Etat palestinien. Un exode forcé, qualifié de «Nakba», «catastrophe» en arabe.
Un statut de génération en génération
Exilés dans l’enclave palestinienne, de nombreux Palestiniens acquièrent le statut – censé être temporaire – de réfugié, et s’inscrivent auprès de l’UNRWA. Des camps sont alors construits, afin de les accueillir. Une situation supposée provisoire, qui ne le sera finalement jamais. Car depuis 75 ans, le «droit au retour» revendiqué par les Palestiniens est rejeté par Israël. Et ce en dépit de la résolution 194, non contraignante et adoptée le 11 décembre 1948 par l’Assemblée générale de l’ONU, qui stipule «qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins […]».
Reportage
Un statut de réfugié particulier qui se transmet de génération en génération, expliquant ainsi la proportion si élevée de réfugiés palestiniens parmi la population gazaouie. Avant l’attaque du 7 octobre – qui a entraîné des déplacements massifs –, 620 000 réfugiés vivaient encore entassés dans les quelques camps que comprend l’enclave palestinienne.
«Des conditions de vie exiguës»
Eparpillés de part et d’autre de la bande de Gaza, les huit camps reconnus couvrent moins de 6,5 km² du petit territoire d’environ 362 km². Recouverts autrefois par une myriade de tentes, les lieux sont désormais constitués de bâtiments en dur, souvent rudimentaires et très rapprochés les uns des autres. «Les conditions socio-économiques dans les camps sont généralement mauvaises, avec une forte densité de population, des conditions de vie exiguës et des infrastructures de base inadéquates telles que des routes et des égouts», déplore l’UNRWA, qui fait état de coupures d’électricité fréquentes et de problèmes d’eau potable.
Dans ce territoire souffrant d’un taux de pauvreté extrêmement élevé (81,5 %), l’agence onusienne opère avec «plus de 13 000 employés, répartis dans plus de 300 installations». Et tente de fournir aux réfugiés palestiniens enregistrés des services d’éducation, de santé, des secours et des services sociaux. Et ce malgré une responsabilité limitée, rappelle l’UNRWA, qui se «limite à fournir des services et à administrer ses installations», l’agence ne possédant pas et ne surveillant pas les camps, «car cela relève de la responsabilité des autorités hôtes».
Ciblés par les bombardements
Déjà fragiles, les camps de réfugiés se retrouvent désormais en ligne de mire des bombardements israéliens. Alors que les violences sévissent sur Gaza, l’armée israélienne a touché mardi 31 octobre le site de Jabalia, le plus grand camp du territoire administré, faisant 195 morts, 777 blessés et 120 disparus, selon les chiffres du Hamas. Avant de le bombarder à nouveau le lendemain, provoquant d’énormes destructions.
Un bilan humain effroyable, qui a provoqué l’indignation du monde arabe et des organisations internationales. «Atterré», Antonio Guterres a fermement dénoncé les frappes aériennes, ajoutant craindre «sérieusement qu’il s’agisse d’attaques disproportionnées qui pourraient être des crimes de guerre». Situé dans le Nord, le camp de Jabalia abrite 116 000 réfugiés palestiniens, agglutinés dans une zone d’à peine 1,4 km², ainsi que 26 écoles et deux centres hospitaliers.
L’armée israélienne, de son côté, a justifié les frappes du 31 octobre, assurant y avoir tué Ibrahim Biari, présenté comme un commandant du Hamas, et «l’un des dirigeants de l’attaque terroriste meurtrière du 7 octobre». «L’élimination a été menée dans le cadre d’une vaste attaque contre des terroristes et des infrastructures terroristes appartenant au bataillon central Jabalia, qui a pris le contrôle de bâtiments civils dans la ville de Gaza. […] Dans le cadre de l’attaque, de nombreux terroristes du Hamas ont été éliminés», a affirmé le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari.
Décryptage
Quelques jours plus tard, le 4 novembre, c’est le camp de Maghazi (33 000 réfugiés), dans le centre de la bande de Gaza, qui a été pris d’assaut. Des frappes qui auraient tué 45 personnes, selon un bilan publié le lendemain par le ministère de la Santé du Hamas. La majorité des victimes «sont des enfants et des femmes», a ajouté le ministère, affirmant que des maisons avaient été directement ciblées.
Déjà démunis, les camps sont devenus, de par leur densité de population, particulièrement vulnérables aux attaques israéliennes. Situé dans le nord du territoire, celui d’al-Shati («plage» en arabe), est l’un des plus surpeuplés, avec plus de 90 000 réfugiés. Le plus petit, Deir el-Balah – près de la côte – occupe à peine 0,17 km² pour plus de 20 000 habitants. Massés dans des abris de fortunes, les réfugiés palestiniens semblent livrés à eux-mêmes. Un mois jour pour jour après l’attaque perpétrée par le Hamas, les appels à une trêve humanitaire, eux, restent sans suite.