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Analyse

Guerre Hamas-Israël : en attaquant l’Etat hébreu, les Houthis du Yémen cherchent à gagner en influence au Proche-Orient

Guerre au Proche-Orientdossier
Au Yémen, les rebelles mènent depuis le début du conflit à Gaza plusieurs attaques contre Israël. Si ces actions ravivent l’inquiétude autour d’un embrasement, les spécialistes écartent l’hypothèse d’un danger majeur pour le pays, le groupe cherchant avant tout à accroître son influence politique dans la région.
Le 9 novembre 2023, dans les rues de Sanaa, la capitale du Yémen, des drapeaux israéliens et américains sont piétinés en solidarité au peuple palestinien. (Mohammed Huwais/AFP)
publié le 21 novembre 2023 à 12h37

Depuis leur invasion de la capitale Sanaa en 2014 et le début de la guerre civile, les Houthis n’ont jamais participé à un conflit n’impliquant pas le Yémen. Jusqu’au 31 octobre, jour où ces rebelles d’obédience zaydite – une branche minoritaire de l’islam chiite – ont déclaré ouvertement la guerre à Israël, qui combat le groupe islamiste palestinien du Hamas dans la bande de Gaza. Revendiquant leur appartenance à l’«axe de la résistance», les forces ennemies de l’Etat hébreu menées par l’Iran dont font aussi partie le Hamas ou le Hezbollah libanais, les Houthis multiplient depuis les actions contre Israël.

Par les airs, au moins six attaques de drones et de missiles ont été recensées – les combattants houthistes ne sont pas frontaliers à Israël, contrairement à ceux du Hamas et du Hezbollah. Le 14 novembre, dernière action aérienne en date, le porte-parole militaire des Houthis déclarait qu’ils avaient «lancé des missiles balistiques vers différentes cibles», dont la cité balnéaire d’Eilat, dans le sud d’Israël. Peu après, l’armée israélienne confirmait avoir «identifié et intercepté avec succès» un missile dans le secteur de la mer Rouge. Les missiles et les drones en possession des rebelles houthis peuvent théoriquement traverser les 1 600 kilomètres séparant le sud de la péninsule arabique d’Israël, observe Fabian Hinz de l’Institut international des études stratégiques auprès de l’AFP. Par un «coup de chance», ils pourraient atteindre le sol israélien, mais «il y a très peu de risques», estime l’expert, notamment au vu de l’efficacité de leur système de défense antimissile.

Cargo ciblé

Un autre front, maritime cette fois, s’est ouvert dimanche 19 novembre en mer Rouge, vitale pour le commerce mondial et le trafic pétrolier. Les Houthis ont mis leur menace à exécution de prendre pour cible des navires israéliens en capturant un cargo exploité par une entreprise japonaise, dont le propriétaire est israélien. L’Etat hébreu, qui a démenti que ce bateau était israélien, a rejeté la faute de cette action sur l’Iran, qui s’est empressé de rejeter ces accusations. «Nous avons sans cesse annoncé que les groupes de résistance dans la région représentent leur pays et qu’ils prennent leurs décisions et agissent sur la base des intérêts de leur pays», a martelé Nasser Kanani, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.

Quelques jours plus tôt dans la même zone, un navire de guerre américain détruisait un drone qui se dirigeait vers lui en provenance du Yémen, revendiqué par les rebelles. Les intérêts des alliés d’Israël dans la région, en particulier les Etats-Unis, sont aussi visés par les Houthis, fidèles à leur slogan «Dieu est grand ! Mort à l’Amérique ! Mort à Israël ! Que la malédiction s’abatte sur les Juifs ! L’islam vaincra !» Le 8 novembre, ils avaient déjà abattu un drone américain MQ-9 Reaper qui survolait les côtes yéménites dans le cadre, selon eux, du soutien militaire américain à Israël.

Une quête de légitimité et de reconnaissance régionale

Martin Griffiths, le chef des opérations humanitaires à l’ONU, a exprimé sa profonde inquiétude de voir la guerre s’étendre au-delà de Gaza, après une discussion menée le 15 novembre avec le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir-Abdollahian. «Evidemment, nous sommes convenus qu’une telle expansion ne serait pas une bonne chose, a-t-il noté. Il s’agirait d’une guerre régionale avec de nombreuses retombées», précisant que les conséquences se font déjà sentir au Yémen et en Syrie.

Si elles constituent une menace supplémentaire pour Israël, ces attaques ne représentent pas un danger majeur pour le pays, selon les spécialistes. Les Houthis cherchent avant tout à accroître «leur influence politique au Yémen et dans la région» tout en ralliant leur base populaire, rapporte à l’AFP Mohammed Albasha, analyste pour le Navanti Group basé aux Etats-Unis. Après neuf ans de guerre civile au Yémen, ils veulent «être reconnus et légitimés en tant qu’acteur important». «Ils frapperont Israël juste assez pour dire “nous pouvons vous frapper aussi”», abonde le chercheur spécialiste du Yémen Farea al-Muslimi dans un article du Washington Post.

En visant des cibles israéliennes et américaines, les Houthis cherchent aussi à renforcer leur position dans les pourparlers de paix avec l’Arabie Saoudite, à la tête de la coalition militaire appuyant les forces gouvernementales yéménites opposées aux rebelles. Pour l’analyste Maged Al-Madhaji du Sanaa Center for Strategic Studies, il s’agit d’une «stratégie calculée» dont l’objectif est de «faire pression sur les Américains» afin «d’accélérer la conclusion d’un accord avec les Saoudiens», qui cherchent à s’extirper d’un conflit coûteux pour leurs finances comme pour leur image à ’international.

Cette stratégie est d’autant plus mesurée que les conséquences pour le Yémen, où prévaut une relative accalmie depuis l’année dernière, sont limitées. L’Arabie Saoudite serait toutefois «contrainte de riposter si un missile ou un drone blessait par inadvertance des ressortissants saoudiens ou touchait des installations vitales» dans sa route vers Israël, prévient Mohammed Albasha. La guerre civile au Yémen, l’un des pays les plus pauvres du Moyen-Orient, compte déjà des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés selon l’ONU, quand plus des trois quarts de la population dépendent d’une aide humanitaire internationale qui ne cesse de diminuer.