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Libération
Interview

Guerre Israël-Hamas : dans la bande de Gaza, «les hôpitaux manquent de tout»

Coordinatrice médicale de la branche française de Médecins sans frontières en Palestine, Guillemette Thomas décrit une situation humanitaire «catastrophique» dans les hôpitaux de l’enclave, surpeuplés, privés de matériel médical et parfois bombardés.
Dans un hôpital de Deir al-Balah, dans le sud de la bande de Gaza, le 2 novembre. (Hatem Moussa/AP)
publié le 6 novembre 2023 à 20h22

Un mois après la reprise de la guerre entre Israël et le Hamas, le bilan des bombardements israéliens dans la bande de Gaza a dépassé le cap symbolique des 10 000 morts, ce lundi 6 novembre, selon le ministère de la Santé à Gaza, contrôlé par le Hamas. Dans l’enclave assiégée, les hôpitaux sont débordés et manquent de médicaments et d’électricité, quand ils ne sont pas carrément fermés, déplore Guillemette Thomas, coordinatrice médicale pour la Palestine de la branche française de l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Dans un entretien à Libération, elle dénonce les frappes israéliennes contre les hôpitaux et les ambulances et appelle à «une arrivée d’aide humanitaire massive et protégée».

Dans quelles conditions les blessés qui arrivent dans les hôpitaux de la bande de Gaza sont-ils pris en charge ?

La situation est vraiment catastrophique. Les hôpitaux sont déjà surchargés par un afflux de déplacés qui ont cherché refuge dans leurs bâtiments, et ils reçoivent des flux continus de patients dans un état extrêmement grave. Beaucoup sont des enfants. Les patients sont pris en charge à même le sol, car il n’y a plus de lit pour les recevoir correctement. Les urgences sont débordées et le personnel soignant est totalement exténué. Certains patients attendent d’être pris en charge depuis des semaines. Et le nombre de blessés ne diminue pas, vu que les bombardements sont quotidiens.

Quelles sont les conséquences pour le fonctionnement des hôpitaux du siège de la bande de Gaza imposé par l’armée israélienne depuis un mois ?

Il faut d’abord rappeler que la bande de Gaza est sous blocus depuis 2007, et donc qu’il y avait déjà des difficultés d’approvisionnement avant le 7 octobre. Désormais, le matériel médical ne peut plus entrer, les ruptures s’accumulent, et les hôpitaux manquent d’à peu près tout : de pansements, d’antibiotiques, d’antalgiques, de médicaments pour les anesthésies… Tout ce qui est nécessaire à la prise en charge la plus basique d’un patient manque. Les hôpitaux ont également besoin d’électricité, car ils fonctionnent avec des générateurs et qu’aucun fioul n’est entré dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre. Aujourd’hui, 16 hôpitaux sur 35 sont à l’arrêt, soit du fait de dommages collatéraux [c’est-à-dire des bombardements israéliens, ndlr], soit du fait de l’absence d’électricité. D’autres fonctionnent en priorisant certains services. L’hôpital Al-Shifa a dû fermer six blocs opératoires pour sauver le peu de fioul qui leur reste. Plus le temps passe, plus on va se diriger vers un arrêt global des hôpitaux de la bande de Gaza.

Comment, dans ces conditions, assurer le suivi des patients atteints de maladies chroniques ?

Le suivi des maladies chroniques ne peut plus être assuré. L’hôpital turc, le seul à traiter les patients atteints de cancer, a fermé ses portes, et 9 000 patients se retrouvent privés de suivi. 1 000 patients dialysés de la bande de Gaza reçoivent aujourd’hui la moitié du traitement dont ils ont besoin du fait du rationnement en électricité. La vaccination des enfants est complètement à l’arrêt, et 50 000 femmes enceintes sont privées de suivi. Pour toutes les personnes souffrant de maladie chronique, il y a des risques majeurs de complication, voire de mort. Par ailleurs, comme les stations de dessalinisation sont à l’arrêt, la population doit boire de l’eau impropre à la consommation, ce qui entraîne une dégradation de l’état de santé. La nourriture manque aussi. Les gens ne vivent plus, ils survivent. Un de nos confrères nous a raconté que son voisin, qui est jeune père, est venu le voir parce que sa femme est enceinte et qu’ils ne peuvent pas nourrir le bébé car la mère ne mange pas et n’a pas assez de lait. Les mères qui doivent allaiter ne le peuvent pas et les nouveau-nés sont affamés. Tous les nouveau-nés de la bande de Gaza sont en danger de mort.

Dans quelle mesure le passage de premiers convois humanitaires par la frontière avec l’Egypte, depuis le 21 octobre, a-t-il permis d’améliorer la situation ?

L’aide humanitaire a permis seulement une esquisse d’amélioration. Depuis le 21 octobre, on a vu passer 400 camions. C’est ce qui passait quotidiennement avant la guerre dans la bande de Gaza, qui ne faisait pas face aux ruptures qu’on observe aujourd’hui. C’est une goutte d’eau dans l’océan. L’entrée de l’aide humanitaire et de l’eau est totalement insuffisante pour couvrir les besoins de plus de 2 millions de personnes. Elle a été distribuée seulement dans le sud de la bande de Gaza. Dans le Nord, où les bombardements sont encore plus importants, rien n’est entré depuis le 7 octobre. C’est beaucoup trop dangereux : les convois risquent d’être bombardés, ou pris dans des échanges de tirs, car les combats se déroulent désormais dans la rue. Les besoins humanitaires dans cette zone sont encore plus importants.

L’armée israélienne accuse le Hamas de dissimuler délibérément des cibles stratégiques au-dessous ou à proximité des hôpitaux, et a justifié vendredi une frappe meurtrière contre une ambulance à proximité de l’hôpital Al-Shifa par la présence d’une cible liée au Hamas dans les alentours. Que pensez-vous de cette rhétorique ?

Depuis le début du conflit, les hôpitaux et les ambulances sont directement visés. Depuis cinq ou six jours par exemple, les bombardements autour de l’hôpital Al-Shifa sont massifs et entraînent des dommages extrêmement importants. Certains services ne sont plus utilisables : les vitres sont explosées, les murs s’effondrent. C’est intolérable. Les structures de santé doivent toujours être préservées. MSF travaille à l’hôpital Al-Shifa depuis des années et n’a jamais rien pu constater qui corrobore les accusations israéliennes. Pour nous, l’argument selon lequel on peut massacrer des civils dans un hôpital pour atteindre des terroristes ne sera jamais audible. Nous demandons un cessez-le-feu immédiat et une arrivée d’aide humanitaire massive et protégée dans la bande de Gaza.