Il y a les 200 avions de chasse de l’armée de l’air, qui, dans un raid aussi énorme qu’inédit, ont fait pleuvoir leurs bombes à travers le territoire iranien vendredi aux premières heures du jour, visant sites nucléaires sensibles et officiels du régime. Mais cette face la plus visible de l’opération «Rising Lion» lancée par Israël a été rendue possible par le méticuleux travail du Mossad, son service de renseignement extérieur. L’histoire dira si cette attaque privera l’Iran de sa capacité à se doter de l’arme nucléaire, ce que Téhéran dément convoiter. Mais elle fera date dans la liste des campagnes majeures des espions israéliens, dont la liste des assassinats ciblés d’ennemis d’Israël avait déjà forgé depuis des années la réputation.
Le Mossad a planifié de longue date son opération, en lien avec le renseignement militaire israélien, sous le nom de code «With the Strength of a Lion» («Avec la force d’un lion»), a expliqué un responsable israélien au New York Times. «Des centaines d’agents du Mossad, à la fois à l’intérieur de l’Iran et au siège de l’agence, ont été impliqués ; y compris une unité spéciale d’opérateurs iraniens travaillant pour le Mossad», selon le journaliste israélien spécialisé Barak Ravid.
Analyse
Dans le centre du pays, des commandos «avaient positionné des systèmes d’armes guidées en plein air près des lanceurs de missiles sol-air iraniens». Le service secret israélien a aussi «déployé secrètement des systèmes d’armes et des technologies sophistiquées cachées dans des véhicules». On ignore encore depuis combien de temps ces armes se trouvaient sur le sol iranien, mais elles ont permis la destruction de la défense aérienne iranienne, ouvrant la voie aux avions de chasse et missiles israéliens. L’armée israélienne dit désormais avoir la maîtrise du ciel jusqu’à Téhéran, qu’elle bombarde lourdement depuis vendredi.
Opération préparée pendant au moins huit mois
Des batteries susceptibles de viser l’Etat hébreu en riposte ont été mises hors-service. Une source de sécurité israélienne a affirmé à Reuters que les commandos du Mossad avaient déployé secrètement des drones explosifs – via une base installée sur le sol iranien, relate Haaretz – qui ont été lancés sur des systèmes de missiles sol-sol de longue portée, à proximité de Téhéran. La capitale elle-même a été infiltrée par des agents, d’après un responsable israélien au New York Times.
La diversité et la répartition des cibles israéliennes dans l’attaque de vendredi sont mises en exergue par une vidéo publiée par l’armée israélienne sur X :
Des sites nucléaires aux systèmes de défense aérienne, nous avons démantelé certains des atouts militaires les plus menaçants de l’Iran.
— Tsahal (@Tsahal_IDF) June 14, 2025
Voici un aperçu des principales cibles frappées à travers l’Iran : pic.twitter.com/w5QjigPskH
Les médias israéliens estiment que l’opération – qui rappelle la récente attaque ukrainienne de drones en Russie – a été préparée pendant au moins huit mois. Certains éléments d’infiltration ont nécessité plusieurs années pour être mis en place, a développé auprès de Reuters Sima Shine, ancienne analyste en chef du Mossad et aujourd’hui chercheuse à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) d’Israël.
«Cela fait plus de quinze ans qu’Israël suit le programme nucléaire» iranien, renchérit Michael Horowitz, géopoliticien israélien. Les frappes constituent «l’aboutissement d’années de collecte de renseignements et de pénétration de la République islamique».
The Mossad spy agency reveals footage showing its actions against Iranian air defenses and ballistic missile launchers in Iran this morning.
— Emanuel (Mannie) Fabian (@manniefabian) June 13, 2025
According to an Israeli official, the Mossad built a secret explosive drone base in Iran for this morning's operation.
The drones were… pic.twitter.com/JYJWBV82fg
Les renseignements israéliens avaient identifié et suivaient de longue date les mouvements des principaux scientifiques et responsables militaires qui ont été assassinés, rapporte le New York Times. Et la liste des victimes iraniennes de premier plan est prestigieuse : chef d’état-major, patron des Gardiens de la révolution et l’ensemble de son service aérospatial, ou encore neuf scientifiques du programme nucléaire iranien. Certains de ces responsables pourraient avoir été tués par des assassinats ciblés. Le journal Haaretz pointe notamment une photo de l’impact d’un missile antichar dans un bâtiment, provenant d’un équipement utilisé par les fantassins.
«C’est assez chirurgical», souffle à l’AFP une source sécuritaire européenne, même si l’opération a fait des victimes collatérales : «Il y a un impressionnant degré de précision et de maîtrise». Les autorités iraniennes ont fait état d’au moins 128 morts depuis vendredi, dont une grande partie de civils.
Le patron du Mossad en opération diversion ?
Reste que pour Danny Citrinowicz, de l’Institut des études de sécurité nationale de Tel-Aviv, toute cette opération «montre la supériorité opérationnelle et en termes de renseignement d’Israël sur l’Iran». En juillet, l’Iran avait déjà été humilié par l’assassinat, à Téhéran, d’Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas. Depuis, la République islamique «n’a pas été capable de colmater les failles de son système», estime-t-il. En 2024, des chefs des Gardiens de la révolution iraniens avaient aussi été ciblés à deux reprises à Damas par des raids israéliens, en janvier puis en avril. Sans compter les éliminations par le passé de responsables du programme nucléaire sur le sol iranien.
Le patron du Mossad, David Barnea, aurait lui-même participé – indirectement – à l’opération. Son déplacement annoncé pour vendredi à Washington, au sujet d’hypothétiques négociations entre les Etats-Unis et l’Iran sur le dossier nucléaire, aurait contribué à distraire l’attention iranienne d’une potentielle attaque, relatent plusieurs médias, dont le Jerusalem Post. A Téhéran, comme presque partout ailleurs, la surprise a été totale, relèvent des observateurs.
Décryptage
En septembre, le Mossad avait déjà stupéfié le monde en attaquant le Hezbollah libanais avec des bipeurs chargés d’explosifs. Selon les autorités libanaises, le bilan s’est élevé à 39 morts et des milliers de blessés, dont un grand nombre de civils, valant à Israël une pluie de condamnations. Après l’opération bipeurs, Alain Chouet, ex-numéro 3 des renseignements extérieurs français (DGSE), était «persuadé qu’Israël [avait] sous le coude une demi-douzaine de structures capables d’agir à n’importe quel moment» en Iran. Samedi, il a confirmé auprès de l’AFP, arguant que le Mossad pouvait «mobiliser beaucoup d’agents sur peu de sujets, quand les services occidentaux sont censés avoir une couverture planétaire». En face, «le contre-espionnage iranien est un service de sécurité surtout concentré sur les menaces intérieures».
D’où une désastreuse infiltration israélienne, dont se sont émus publiquement de hauts responsables iraniens, et que ne compensent pas les exécutions régulières de condamnés présentés comme des agents d’Israël. Ce dimanche encore, l’Iran a dit avoir arrêté «deux membres de l’équipe terroriste du Mossad qui fabriquaient des bombes, des explosifs, des pièges explosifs et de l’équipement électronique» dans la province d’Alborz, à l’ouest de Téhéran.
Avec cette opération, le Mossad met par ailleurs en exergue l’une des nouvelles facettes de la guerre moderne : l’importance prise par le renseignement et les opérations clandestines. Pour sidérer et paralyser son adversaire, analyse Benjamin Jensen, du think tank CSIS à Washington, il faut «associer la puissance aérienne avec des opérations spéciales, pour générer des effets simultanés dans la profondeur du champ de bataille».