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Libération
Haute tension

Iran-Israël : ce que l’on sait sur les risques d’escalade au Moyen-Orient

Depuis l’attaque du 1ᵉʳ avril contre son consulat à Damas, imputée à Israël, l’Iran menace de riposter. Jugée imminentes par Washington, ces représailles iraniennes pourraient embraser la région.
L'ambassadeur iranien au Liban s'entretient avec le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, l'ambassadeur du Qatar au Liban et le représentant du Hamas au Liban, le lundi 8 avril 2024. (Hassan Ammar/AP)
publié le 12 avril 2024 à 14h13

Général américain envoyé à Tel-Aviv, vols annulés, pressions diplomatiques : les menaces de représailles de l’Iran contre Israël, jugées de plus en plus sérieuses et imminentes, nourrissent les craintes d’un embrasement régional au Proche-Orient, six mois après l’attaque du Hamas qui a déclenché une guerre massive dans la bande de Gaza. Alors que Téhéran assure ne pas vouloir «attiser les tensions», le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, se dit prêt à «faire face à des défis sur d’autres théâtres» que Gaza.

D’où vient cette soudaine poussée de fièvre ?

Parrain de «l’axe du mal» que constitue, aux yeux d’Israël, le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, le régime iranien est l’ennemi juré de Benyamin Nétanyahou, qui en a fait depuis des années un sujet central de sa diplomatie, marquée notamment par son opposition farouche à l’accord international sur le programme nucléaire iranien. Séparés géographiquement par l’Irak, la Syrie et la Jordanie, et distants d’un millier de kilomètres, l’Etat hébreu et l’Iran se détestent… mais prennent soin de ne pas s’attaquer frontalement. Pour s’en prendre à Israël (comme aux Américains), Téhéran préfère passer par ses «proxies» : le Hezbollah libanais, les milices chiites en Irak et en Syrie, ou les rebelles houthis au Yémen. De la même façon, Tel-Aviv (comme Washington) préfère frapper les intérêts et responsables iraniens en dehors de ses frontières.

L’attaque spectaculaire et meurtrière contre l’annexe consulaire de l’ambassade iranienne à Damas, le 1er avril, imputée à Israël qui ne l’a pas revendiquée, a fait subitement grimper les tensions. 16 personnes ont été tuées, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont sept membres du corps des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique. Tué dans ces frappes en plein cœur de la capitale syrienne, Le général Mohammad Reza Zahedi, commandant de la force Al-Qods iranienne pour la Syrie et le Liban, et unique membre étranger de la plus haute instance du Hezbollah, en était probablement la cible principale.

Que penser des menaces de Téhéran ?

Dès le lendemain de l’attaque à Damas, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait promis de riposter. «Le régime pervers sioniste sera puni par nos braves hommes. Nous lui ferons regretter ce crime et les autres», avait-il lancé. Des menaces répétées depuis à plusieurs reprises par le guide suprême, par le chef d’état-major iranien, par les Gardiens de la révolution, ainsi que par le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, qui jugeait la semaine dernière une riposte «inévitable». «Si l’Iran mène une attaque depuis son territoire, Israël répondra et attaquera l’Iran», a mis en garde - en persan - le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz. «Nous sommes en pleine guerre à Gaza, qui continue à plein régime […] mais nous nous préparons aussi à faire face à des défis sur d’autres théâtres» d’opérations, a martelé jeudi soir Benyamin Nétanyahou.

La veille, les craintes d’une escalade régionale étaient devenues plus pressantes après la publication, par le site d’information Bloomberg, d’un article évoquant une «attaque massive» et imminente contre Israël de la part de l’Iran ou ses alliés. D’autres médias américains ont relayé , s’appuyant tous sur des sources «proches» des renseignements américains. L’Iran «menace de lancer une attaque importante contre Israël», a déclaré mercredi soir Joe Biden, assurant au passage Israël, très critiquée par la Maison Blanche pour la conduite de sa guerre à Gaza, de son soutien sans faille. «Comme je l’ai dit au Premier ministre Nétanyahou, notre engagement pour la sécurité d’Israël, face à ces menaces de l’Iran et de ses alliés, est inébranlable», a martelé le président démocrate.

Dans ce contexte, le général américain Michael Erik Kurilla, commandant des forces américaines au Moyen-Orient, est arrivé en Israël pour discuter avec les dirigeants militaires israéliens «des menaces sécuritaires actuelles dans la région». Selon l’agence Reuters, qui s’appuie sur des sources iraniennes, Téhéran aurait fait savoir à Washington qu’il comptait répondre à l’attaque de Damas, mais d’une manière qui permettrait d’éviter une escalade majeure. D’après le Wall Street Journal, les Gardiens de la révolution iraniens auraient présenté en début de semaine à l’ayatollah Khamenei plusieurs options pour frapper les intérêts israéliens. Parmi les scénarios envisagés : une frappe directe contre Israël à l’aide de missiles de moyenne portée et des attaques de drones menées par les «proxies» de Téhéran en Syrie et en Irak. «Khamenei n’a pas encore pris de décision sur ces plans», écrivait jeudi soir le journal américain.

Les efforts diplomatiques

Face au risque d’embrasement, l’administration Biden, qui déplore de n’avoir pas été avertie en amont des frappes à Damas, a semble-t-il sciemment fait fuiter mercredi l’évaluation des services américains de renseignement sur l’imminence de la riposte iranienne. Une manière de déclencher un ballet diplomatique pour tenter de l’éviter - ou en tout cas d’en limiter la puissance et la portée. Alors que la Maison Blanche a «mis en garde» Téhéran, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a demandé à ses homologues chinois, turc et saoudien de dissuader Téhéran de toute attaque contre l’Etat hébreu.

Proche de la République islamique, la Russie a appelé l’Iran et Israël à faire preuve de «retenue» afin de «de ne pas déstabiliser complètement la situation dans la région», a plaidé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov. «Personne ne peut avoir intérêt à une escalade régionale», a martelé de son côté la ministre allemande des Affaires étrangères. Mais après des entretiens avec ses homologue allemand, australien et britannique, le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir-Abdollahian, a évoqué la «nécessité» pour Téhéran de riposter à la frappe contre son consulat. «Téhéran n’a jamais cherché à attiser les tensions dans la région, mais l’attaque terroriste du régime israélien […] et le silence des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne encouragent Nétanyahou à poursuivre la guerre et à l’étendre dans la région», a-t-il déclaré.

«Nos ennemis pensent qu’ils peuvent séparer Israël et les Etats-Unis, mais c’est le contraire qui est vrai : ils nous rapprochent et renforcent nos liens», a pour sa part assuré ce vendredi ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, après un entretien avec le général américain Michael Erik Kurilla, en déplacement en Israël.

Des mesures de précaution

Signe concret de cette inquiétude grandissante, les Etats-Unis ont annoncé jeudi, «par mesure de précaution», restreindre les mouvements en Israël de leur personnel diplomatique et des membres de leur famille. Ces derniers ne sont plus autorisés à voyager en dehors des zones de Tel-Aviv, Jérusalem et Beersheva jusqu’à nouvel ordre. La France, de son côté, «recommande aux Français de s’abstenir impérativement de se rendre dans les jours qui viennent en Iran, en Israël, au Liban et dans les territoires palestiniens», a indiqué vendredi à l’AFP l’entourage du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Cette décision, actée «en réunion de crise», s’accompagne du «retour des familles des agents diplomatiques de Téhéran» ainsi que de l’interdiction des missions de fonctionnaires français dans ces pays. En Allemagne, la compagnie aérienne Lufthansa a annoncé la prolongation de la suspension de ses vols en provenance et à destination de Téhéran, «probablement jusqu’à samedi inclus».

Mise à jour à 16 h 30 avec la réaction du ministre de la Défense israélien sur liens de l’Etat hébreu avec Washington.