Le «boucher de Téhéran» a droit à son hommage. En deuil national pour cinq jours, des foules d’Iraniens se sont rassemblées ce mardi 21 mai pour le premier jour des cérémonies de funérailles du président Ebrahim Raïssi, décédé dimanche à 63 ans dans le crash de son hélicoptère avec sept autres officiels. A Tabriz, chef-lieu de la province de l’Azerbaïdjan oriental proche du lieu de l’accident, les cercueils enveloppés du drapeau national ont dans la matinée lentement fendu les masses endeuillées à bord d’un camion recouvert de fleurs blanches. Transférés dans la ville sainte chiite de Qom, au sud de Téhéran, ils ont été portés à bout de bras jusqu’au sanctuaire de Massoumeh. Dans les deux villes, la foule noircie d’habits de deuil et d’innombrables tchadors – le port du voile est obligatoire pour les femmes en Iran – a marché en brandissant des drapeaux et des portraits des défunts. Des centaines de milliers de personnes étaient présentes pour leur rendre hommage, d’après l’IRNA, l’Agence de presse de la République islamique.
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Certains observateurs ont cependant vu un contraste frappant entre ce deuil public et des commémorations passées de la mort d’autres personnalités de la République islamique. La rhétorique émotionnelle forte observée en 2020 lors des funérailles du général Qassem Soleimani, un haut commandant des Gardiens de la révolution tué par un missile américain en Irak, ne s’est selon eux pas reproduite.
Et pour cause : élevé pour l’occasion au rang de «martyr», Ebrahim Raïssi était surtout un président autoritaire et ultraconservateur, l’un des rouages réputé sans pitié – il était surnommé le «boucher de Téhéran» – de la répression du peuple, encore plus stricte depuis le mouvement de contestation «Femme, vie, liberté» de 2022. Pour de nombreux Iraniens, la mort du chef d’Etat est donc aussi synonyme de réjouissances, certains l’ayant même célébrée ouvertement en se rassemblant dans les rues ou en tirant des feux d’artifice dans des villes de province. Sur les réseaux sociaux, les blagues autour du décès du président sont allées bon train, les hashtags #jesuishelicoptere ou #helikotlet – jeu de mot entre «hélicoptère» et «kotlet», des boulettes de viande et de pommes de terre typiquement iraniennes – déferlant sur la toile. La raillerie a été reprise massivement par la diaspora iranienne, entre autres vidéos de danses et clips musicaux festifs. Les autorités ont par ailleurs affirmé avoir identifié «80 sites internet» ayant «publié des propos insultants et des rumeurs sur l’accident», les administrateurs ayant «été avertis et des poursuites judiciaires engagées contre certains d’entre eux», a déclaré l’agence de presse iranienne Tasnim.
The whole world is celebrating, especially Iranians! #Helikotlet 💃🚁🥳🎉 pic.twitter.com/ZkyLiViDUI
— Hope (@HopeIranian) May 19, 2024
Une enquête sur le crash de l’hélicoptère
Les funérailles d’Ebrahim Raïssi se poursuivront dans la soirée à Téhéran. Toujours dans la capitale iranienne, le guide suprême Ali Khamenei présidera le mercredi 22 mai, décrété jour férié, les prières de la cérémonie d’adieu. La dépouille du président sera enfin conduite le jeudi 23 mai dans la province du Khorasan du Sud, à l’est, puis à Machhad, sa ville natale du nord-est, où il sera enterré.
Ebrahim Raïssi, qui présidait l’Iran depuis 2021, est décédé dans l’accident de l’hélicoptère qui l’amenait dimanche 19 mai vers Tabriz. Il venait d’assister à l’inauguration conjointe d’un barrage avec son homologue azéri, Ilham Aliev, à leur frontière commune. Après de difficiles opérations de recherche et de sauvetage longues d’une douzaine d’heures au sein de cette région escarpée et boisée, les débris de l’hélicoptère ont été découverts lundi 20 mai à l’aube. Le chef d’état-major des forces armées, Mohammad Bagheri, a ordonné le même jour une enquête sur les causes du crash. Parmi les huit personnes à bord de l’appareil, figuraient le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, 60 ans, le gouverneur de la province de l’Azerbaïdjan oriental, un imam et le chef de l’équipe de sécurité du président.
Analyse
Après le décès du président, l’ayatollah Ali Khamenei, numéro un en Iran et ultime décideur sur les dossiers stratégiques de l’Etat, a assuré qu’il n’y aurait «aucune perturbation dans l’administration du pays». Il a chargé le vice-président Mohammad Mokhber, 68 ans, d’assumer les fonctions de président par intérim jusqu’à l’élection présidentielle, fixée au 28 juin prochain. Le principal négociateur nucléaire iranien, Ali Bagheri, ancien adjoint d’Amir-Abdollahian, a quant à lui été nommé ministre des Affaires étrangères par intérim.
Des ONG critiquent l’«impunité» du président décédé
L’ultraconservateur Ebrahim Raïssi était considéré comme l’un des favoris pour succéder à l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans. L’Assemblée des experts, chargée de désigner, superviser et éventuellement démettre le guide suprême, tenait justement ce mardi sa première séance après avoir été élue en mars. Pour l’occasion, deux sièges avaient été laissés vides et décorés de noir, ceux d’Ebrahim Raïssi et de l’imam Mohammad Ali Al-Hashem, représentant de Tabriz, également décédé dans le crash.
Interview
Le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais et la Syrie, tous alliés de la République islamique et se revendiquant de l’axe de la résistance contre Israël, ont présenté leurs condoléances au président défunt. Dans un discours quelques heures avant sa mort, Ebrahim Raïssi avait réaffirmé le soutien de l’Iran aux Palestiniens, pièce maîtresse de sa politique étrangère depuis la révolution islamique de 1979.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a, lui, observé lundi une minute de silence en son hommage, vivement critiquée sur les réseaux sociaux. De leur côté, des ONG de défense des droits humains et des opposants ont déploré que le chef d’Etat n’ait jamais rendu de compte devant la justice pour les crimes qu’il a selon eux commis pendant des décennies dans le pays. «Ebrahim Raïssi était un symbole de l’impunité judiciaire pour les criminels et de l’absence de responsabilité au sein du système de la République islamique», a dénoncé Mahmood-Amiry Moghaddam, directeur de l’ONG Iran Human Rights.