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Analyse

Iran : les incertains scénarios de l’après-Khamenei

Bien que le régime iranien vacille, la mobilisation civile est trop paralysée par la guerre pour le renverser. La destitution du Guide suprême est l’hypothèse la plus évoquée à l’heure actuelle.
Lors d'une manifestation à Téhéran, le 22 juin 2025. (Vahid Salemi/AP)
par Divan Shirazi
publié le 23 juin 2025 à 21h08

Engagé dans un conflit intense avec deux des armées les plus puissantes au monde, celle d’Israël et celle des Etats-Unis, le pouvoir iranien commence à montrer des signes d’effondrement. Au cœur de cette crise se trouve le guide suprême de la république islamique, Ali Khamenei, âgé de 86 ans. Selon plusieurs sources, il est caché dans un lieu tenu secret et, à l’exception de quelques déclarations écrites et d’une seule allocution vidéo, il est absent de la vie publique depuis plus de dix jours. Même ses communications avec les hauts responsables du régime seraient désormais limitées. Les centres de pouvoir de la république islamique fonctionnent à présent dans le vide et, sans structure de commandement opérationnelle, les institutions militaires et diplomatiques sont de fait paralysées.

Cette situation révèle une crise du leadership. Khamenei ne semble plus capable de gérer la situation et sa légitimité politique s’est érodée. Pourtant, malgré le mécontentement populaire généralisé à l’égard du régime – un désir de longue date parmi de nombreux Iraniens de voir la fin de l’autoritarisme religieux et l’établissement d’un nouvel ordre politique –, la guerre a rendu la mobilisation civile presque impossible. Sous les raids aériens et dans un environnement fortement sécurisé, toute protestation organisée est devenue impensable et a fortiori toute discussion sur un changement de régime à court terme.

«Sous les bombardements, personne ne peut descendre dans la rue»

En l’absence d’une alternative puissante et légitime, bénéficiant du soutien national et de la reconnaissance internationale, l’effondrement soudain du régime ne devrait pas conduire à une transition démocratique. Les scénarios les plus plausibles tournent plutôt autour d’un Iran post-Khamenei. Son éviction du pouvoir, désormais considérée par beaucoup comme inévitable, ouvre au moins deux possibilités : un remaniement interne du pouvoir ou un effondrement progressif de l’Etat, déclenché par un mécontentement croissant et un vide au niveau du leadership, qui pourrait, à terme, conduire à un changement de régime.

L'édito de Dov Alfon et Hamdam Mostafavi

«Pour résoudre cette crise, Khamenei doit être destitué. Sa politique étrangère, sa doctrine sécuritaire, sa répression culturelle et son âge ont plongé l’Iran dans la guerre et la division. Il est directement responsable de cette crise», estime Ali, 31 ans, étudiant en sciences politiques à Téhéran joint par téléphone. Pour le jeune homme, cette transition doit «se faire avant que Khamenei ne soit tué dans une frappe israélienne. Si cela se produit, le système politique pourrait sombrer dans une spirale chaotique, sans plan, sans contrôle et sans retour en arrière possible». Il esquisse même une sorte de feuille de route. «Dans ces conditions de guerre, l’Iran a besoin d’une transition rapide vers un nouveau leadership composé de personnalités familiarisées avec le système administratif existant et dotées d’une expérience en matière de négociation. Les figures de l’opposition interne doivent participer à la transition afin de garantir la légitimité démocratique. La libération des prisonniers politiques et un processus de réconciliation nationale doivent être des priorités immédiates.»

Pour Sara, 36 ans, qui fût arrêtée en 2022 lors du mouvement Femme, vie, liberté, l’urgence est ailleurs. «Avant tout, cette guerre doit prendre fin. La plupart des Iraniens sont épuisés par la république islamique et veulent qu’elle disparaisse, mais sous les bombardements, personne ne peut descendre dans la rue et faire en sorte que cette transition se produise. La guerre paralyse.»

L’opposition sans solutions concrètes

En l’absence d’une opposition unifiée ou compétente, la plupart des Iraniens restent sceptiques face aux appels à un changement de régime, surtout venus de l’étranger. «Le régime est en crise. Khamenei a perdu la légitimité et la compétence nécessaires pour gérer cette situation d’urgence, assène Sahar, une économiste de 38 ans. Malheureusement, il n’existe aucune opposition sérieuse et cohérente capable de se positionner comme une alternative viable.» Elle critique les réactions de l’opposition en exil. «Reza Pahlavi [fils du dernier chah, ndlr] ne cesse de répéter que le moment est venu de mettre fin à la république islamique. Pourtant, dès le début, il a soutenu l’attaque militaire d’Israël et justifié les pertes civiles, ce qui a provoqué la colère de nombreux Iraniens.» Surtout, elle regrette l’absence de solutions concrètes esquissées par l’opposition. «Ils terminent tous leurs déclarations par une phrase vague du type “le moment est venu pour le peuple de terminer le travail”. C’est complètement déconnecté de la réalité. Comment le peuple est-il censé “terminer le travail” alors que les bombes tombent, que les missiles volent et que les rues sont vides sous le siège ?»

Sina, 42 ans, professeur de physique, est aussi très critique de l’opposition en exil. «Qu’est-ce que le peuple est censé faire exactement ? Même avant la guerre, lorsque les gens descendaient dans la rue, ils étaient violemment réprimés. Avec cette guerre et la répression menée par le gouvernement sous prétexte d’éliminer les espions, le risque est encore plus grand !»

Les événements évoluent rapidement en Iran. Mais à l’heure actuelle, l’hypothèse de la destitution de Khamenei et de son remplacement semble la plus probable. Cette hypothèse a été renforcée lundi par un communiqué cryptique et inhabituellement bref publié par Tasnim, une agence de presse affiliée au Corps des gardiens de la révolution islamique, qui a accusé des «éléments discrédités» non identifiés d’essayer de mobiliser des religieux de haut rang en faveur de la «soumission et du compromis».

«Sauveur» potentiel

L’agence IranWire a rapporté que l’ancien président Hassan Rohani, qui fût le principal négociateur nucléaire de l’Iran, aurait été aperçu à Qom, où il aurait rencontré des autorités religieuses chiites influentes pour qu’ils incitent le Guide suprême à accepter les propositions de paix des Etats-Unis et d’Israël.

D’autres sources affirment qu’un autre poids lourd de la politique, Ali Larijani, ancien président du Parlement et vétéran de la diplomatie du nucléaire, a tenté de contacter Khamenei pour l’exhorter à entamer des négociations directes avec Washington. Larijani se positionnerait désormais comme un «sauveur» potentiel dans un Iran post-Khamenei, tirant parti de son expérience diplomatique, de sa volonté de mettre fin aux hostilités avec les pays occidentaux, de ses liens familiaux étroits avec l’establishment clérical et de ses relations au sein de la communauté du renseignement. Son ambition serait de conserver une légitimité suffisante au sein de l’appareil du pouvoir iranien fracturé pour préserver la stabilité.

Enfin, un autre nom se détache : celui de Masoud Pezeshkian, le président iranien. Contrairement à Khamenei, Pezeshkian a tenté de maintenir une présence visible dans les médias. Il est même apparu publiquement, au milieu d’une foule, lors d’un rassemblement prorégime dénonçant l’attaque américaine, ce que beaucoup ont interprété comme un symbole de défi et de courage. Reste que Pezeshkian n’a pas d’influence sérieuse sur les institutions de sécurité et de renseignement iraniennes, un élément crucial pour le succès d’une éventuelle transition.

En tout état de cause, toute alternative issue de la république islamique pourrait avoir du mal à gagner en légitimité ou à se maintenir, à moins qu’elle n’entraîne un changement radical et tangible dans l’orientation économique, culturelle, sociale et politique du pays.