En Iran, rares sont les personnages politiques qui ne sont pas conservateurs. Mais Ebrahim Raïssi, intronisé président de la République islamique d’Iran pour un mandat de quatre ans, est lui jugé ultraconservateur. Son élection a été approuvée ce mardi par le guide suprême Ali Khamenei, lors d’une cérémonie retransmise à la télévision d’Etat. «Conformément au choix du peuple, j’intronise l’homme sage, infatigable, expérimenté et populaire Ebrahim Raïssi comme président de la République islamique d’Iran», a-t-il écrit dans un décret lu par son chef de cabinet.
Candidat malheureux à la présidentielle de 2017, Ebrahim Raïssi succède à son concurrent d’alors Hassan Rohani à l’issue d’un scrutin, le 18 juin, marqué par une abstention record pour une présidentielle, témoignant d’un renoncement général face à la crise économique et sociale qui frappe le pays.
Profil
Ebrahim Raïssi a promis une «lutte incessante contre la pauvreté et la corruption». Mais coiffé de son turban noir de seyyed (descendant de Mahomet) et habillé d’un long manteau de religieux, l’homme est austère, sans état d’âme, orateur moyen et sans grand charisme. A 60 ans, ce religieux, membre du bureau directeur de l’Assemblée des experts (chargé de nommer le Guide), et quasi-inconnu jusqu’en 2017, est un partisan assumé de l’ordre. Et aux méthodes contestées.
Plusieurs ONG associent le nom d’Ebrahim Raïssi à des accusations de crimes contre l’humanité. Alors procureur adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran, il est accusé d’avoir contribué au massacre de milliers de personnes, détenus marxistes ou de gauche, à l’été 1988 sans que ce nombre ne soit encore arrêté. Interrogé sur le sujet en 2018 et 2020, il nie son implication mais rend «hommage» à «l’ordre» donné par l’ayatollah Khomeiny, fondateur de la République islamique, de procéder à cette épuration.
Face au Mouvement vert violemment réprimé, qui s’oppose en 2009 à la réélection d’Ahmadinejad, Raïssa déclare : «A qui nous parle de «compassion islamique et de pardon» nous répondons : nous allons continuer d’affronter les émeutiers jusqu’à la fin et nous déracinerons la sédition.»
Apparatchik du système judiciaire
Né en novembre 1960, dans la ville sainte de Machhad dans le Nord-Est, il est âgé de 19 ans à la Révolution. Immédiatement, il est nommé procureur général de Karaj, près de Téhéran, sans aucune formation en droit et fera toute sa carrière dans l’administration du système judiciaire, noyauté par les factions les plus dures du régime. Procureur général de Téhéran entre 1989 et 1994, il a ensuite été chef adjoint de l’Autorité judiciaire pendant dix ans à partir de 2004. Après sa défaite face à Rohani en 2017, Ali Khamenei le place à la tête du pouvoir judiciaire, au poste de procureur général du pays.
Une visibilité qui lui vaut d’être inscrit sur la liste noire des responsables iraniens sanctionnés par Washington pour «complicité de graves violations des droits humains». Des accusations balayées comme nulles et non avenues par les autorités de Téhéran.
A ce poste, Raïssi mène une lutte implacable et sans merci contre la corruption. Jusqu’à viser de hauts dignitaires aux procès médiatisés, mais aussi des juges, ce qui lui vaut d’être accusé d’en profiter pour pousser son agenda personnel.
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Relancer l’économie
L’enjeu «principal» du nouveau président «sera l’amélioration de la situation économique en renforçant les relations économiques entre la République islamique d’Iran et les pays voisins», mais aussi avec la Russie et la Chine, selon Clément Therme, chercheur à l’Institut universitaire européen de Florence. La crise sanitaire a frappé une économie déjà étouffée par des sanctions américaines interrompant les exportations pétrolières. L’ex-président Donald Trump avait en effet retiré en 2018 les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 avec Hassan Rohani et rétabli les sanctions contre Téhéran.
En réponse, l’Iran avait renoncé à ses engagements pris dans le cadre de l’accord qui limitaient ses activités nucléaires pour le moins controversées. Mais face à une économie bridée, les manifestations de contestation sociale se sont multipliées depuis 2017. En juillet, encore, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes de la région du Khouzestan, touchée par un grave épisode de sécheresse. Le pouvoir a une nouvelle fois répondu par la force.
Cette transition soulève donc un certain nombre de questions. Après son intronisation, Raïssi a déclaré vouloir obtenir la levée des sanctions mais sans attendre aucune contribution «des étrangers» pour redresser l’économie nationale. Jeudi, Ebrahim Raïssi prêtera serment devant le Parlement, tenu lui aussi par les conservateurs après leur victoire aux législatives de 2020, auquel il devra présenter ses candidats pour des postes ministériels.