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Iran : un rapport officiel assure que la jeune manifestante Nika Shakarami a été tuée par les forces de sécurité iraniennes

Disparue en septembre 2022, l’adolescente de 16 aurait été agressée sexuellement et tuée par trois hommes, selon une enquête publiée par la BBC ce mardi 30 avril.
Des manifestants tiennent des pancartes avec les visages des femmes iraniennes Nika Shahkarami et Masha Amini et les mots "Femme Vie Liberté" écrits lors d'un rassemblement en soutien aux protestations iraniennes, à Paris le 9 octobre 2022 (Julien de Rosa/AFP)
publié le 30 avril 2024 à 14h55

Son visage était devenu un symbole en Iran. Disparue en septembre 2022, Nika Shakarami avait été retrouvée morte neuf jours plus tard par sa famille dans une morgue. A l’époque, le gouvernement avait conclu à un suicide. L’adolescente de 16 ans a en réalité été agressée sexuellement et tuée par trois hommes travaillant pour les forces de sécurité iraniennes, dévoile un article de la BBC publié ce mardi 30 avril.

Pour réaliser son enquête, le média britannique s’est appuyé sur un document secret, «qui a fait l’objet d’une fuite et qui aurait été rédigé par ces forces». Classé «hautement confidentiel», le rapport résume une audience au sujet de Nika Shakarami, organisée par le corps des Gardiens de la Révolution (CGRI), l’armée idéologique de la République islamique du pays. Selon la BBC, il permet de savoir ce qu’il s’est passé ce jour-là, mais révèle aussi les noms des assassins présumés et des hauts gradés qui ont tenté de cacher la vérité.

Battue à mort

Nika Shakarami avait été aperçue pour la dernière fois le 20 septembre 2022, lors d’une manifestation contre le régime dans le centre de Téhéran. A l’époque, le mouvement «Femme, vie, liberté» vient d’être déclenché quelques jours plus tôt, après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre. Au milieu des slogans, Nika Shakarami exprime sa colère, et met le feu à des hijabs. «Ce qu’elle ne pouvait pas savoir à l’époque, c’est qu’elle était surveillée, comme le montre clairement le rapport classifié», détaille la BBC.

Selon la même source, «plusieurs unités de sécurité infiltrées surveillaient la manifestation». Parmi elles, «l’équipe 12», qui soupçonne l’adolescente de 16 ans de faire partie des cheffes de file du mouvement. Nika Shakarami est alors arrêtée, et mise à l’arrière d’un fourgon de l’unité de sécurité. Le rapport, affirme la BBC, «contient des détails troublants sur les évènements» qui se sont déroulés dans le véhicule ce jour-là. «L’un des hommes a abusé d’elle alors qu’il était assis sur elle. Bien que menottée et entravée, elle s’est débattue […].» Ce qui, selon ces membres du service de sécurité, aurait déclenché des coups de matraque, poursuit le média. Toujours selon le document, les assaillants l’auraient battu à mort. Avant d’abandonner le corps de l’adolescente dans une «rue tranquille» de Téhéran.

Neuf jours plus tard, la mère de l’adolescente retrouve le corps de sa fille dans une morgue. Après les funérailles, le gouvernement assure qu’elle s’est suicidée, s’appuyant sur les résultats d’une «enquête officielle». Mais le certificat de décès de Nika Shakarami – consulté par BBC Persian en octobre 2022 – ne donne pas la même version, affirmant qu’elle a été tuée par «de multiples blessures causées par des coups portés avec un objet dur».

Le rapport relate «bien les derniers mouvements de l’adolescente»

Une hypothèse que confirme le rapport. Le document «conclut qu’une agression sexuelle est à l’origine de la bagarre dans le compartiment arrière de la camionnette et que les coups de l’équipe 12 ont causé la mort de Nika», révèle la BBC ce mardi, qui précise que trois matraques et trois tasers auraient été utilisés. «Nous avons soumis les allégations du rapport au gouvernement iranien et à ses gardiens de la révolution. Ils n’ont pas répondu», note le média.

L’enquête de BBC Eye aura duré plusieurs mois. Elle «ne portait pas seulement sur le contenu du rapport, mais aussi sur la question de savoir si l’on pouvait s’y fier en tant qu’artefact», précise le média, qui rappelle que de nombreux documents officiels iraniens circulant sur internet se révèlent être des faux. Pour vérifier l’authenticité du texte, les journalistes expliquent avoir fait appel à un ancien officier des services de renseignement iraniens. Et de conclure : «Nos investigations approfondies affirment que les documents que nous avons obtenus relatent bien les derniers mouvements de l’adolescente.»

A l’automne 2022, la disparition et la mort de Nika Shakarami avaient fait l’objet d’une large couverture médiatique. La photo de l’adolescente, habillée en noir et chaînes en argent sur le cou, était rapidement devenue un symbole dans la lutte des femmes iraniennes pour plus de libertés. Tout comme son nom, scandé par les foules lors des manifestations. Depuis le début du mouvement «Femme, vie, liberté», 551 manifestants auraient été tués par les forces de sécurité, selon un rapport des Nations unies publié fin mars.