Après la frappe, les multiples condamnations. Dimanche 10 août, un bombardement israélien a tué cinq journalistes palestiniens de la chaîne qatarie Al Jazeera, ainsi qu’un journaliste pigiste qui collaborait occasionnellement avec des médias locaux. Tous se trouvaient dans une tente devant l’hôpital Al-Shifa à Gaza-city au moment de la frappe.
D’après le média qatari, les victimes sont ses correspondants Anas al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, ainsi que les cameramen Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa. Dans un communiqué, Al Jazeera dénonce «un assassinat ciblé […] par les forces d’occupations israéliennes dans ce qui constitue une nouvelle attaque flagrante et préméditée contre la liberté de la presse». Selon la chaîne, 10 de ses correspondants ont été tués par l’armée israélienne à Gaza depuis le début sa guerre lancée en représailles à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
Tsahal revendique l’attaque et qualifie al-Sharif de «terroriste»
L’attaque de dimanche a été revendiquée par l’armée israélienne qui dit avoir visé spécifiquement Anas al-Sharif. Ce journaliste de 28 ans était l’un des visages les plus connus parmi les correspondants couvrant au quotidien le conflit. Tsahal confirme l’avoir pris pour cible, le qualifiant de «terroriste» à la solde du Hamas qui «se faisait passer pour un journaliste».
Sur X, l’armée assure qu’«Al-Sharif était le chef d’une cellule terroriste du Hamas et coordonnait des attaques de roquettes contre des civils israéliens et des soldats de Tsahal». Elle a par ailleurs publié un selfie d’Anas al-Sharif, posant avec les chefs du Hamas, ainsi qu’un tableau montrant supposément des noms de membres du mouvement islamiste palestinien, où le nom du journaliste émarge avec un salaire correspondant pour les années 2013 et 2017. Selon des journalistes locaux qui le connaissaient, Anas al-Sharif avait travaillé au début de sa carrière avec un bureau de communication du Hamas, où son rôle était de promouvoir les événements organisés par le mouvement, qui dirige Gaza depuis 2007.
L’explication de Tsahal n’a pas du tout convaincu l’organisation de défense de la presse Reporters sans frontières (RSF) qui dénonce «avec force et colère l’assassinat revendiqué» par l’armée israélienne d’Anas al-Sharif, ajoutant qu’il était «la voix de la souffrance imposée par Israël aux Palestiniens de Gaza».
RSF demande que «le Conseil de sécurité des Nations unies» se réunisse «d’urgence sur le fondement de la résolution 2222 de 2015 sur la protection des journalistes en période de conflit armé», afin d’éviter «de tels meurtres extrajudiciaires de professionnels de médias». L’ONG souligne avoir déposé «quatre plaintes» contre l’armée israélienne «auprès de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre commis contre les journalistes à Gaza».
«Une grave violation du droit humanitaire international»
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a également pris la parole dans un communiqué pour condamner «le meurtre par l’armée israélienne de six journalistes palestiniens» dans la bande de Gaza. L’agence onusienne accuse Israël d’avoir «visé la tente» où se trouvaient cinq employés de la chaîne Al Jazeera, ce qui «constitue une grave violation du droit humanitaire international».
Rencontre
«Israël doit respecter et protéger tous les civils, y compris les journalistes», souligne encore le Haut-Commissariat qui rappelle qu’«au moins 242 journalistes palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023». L’ONU réitère par ailleurs sa demande d’«un accès immédiat, sûr et sans entrave à Gaza pour tous les journalistes».
Le chef de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini, s’est dit de son côté «horrifié» : «L’armée israélienne continue de réduire au silence les voix qui rapportent les atrocités commises à Gaza.»
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New-York, s’est aussi exprimé ce lundi 11 août. «Les journalistes sont des civils» et les cibler en temps de guerre «est un crime de guerre», a déclaré à l’AFP Jodie Ginsberg, la directrice de cette ONG. «Israël assassine les messagers», a également dénoncé dans un communiqué Sara Qudah, la directrice régionale du CPJ : «Israël a éliminé toute une équipe de journalistes. Il n’a pas prétendu que les autres journalistes étaient des terroristes. C’est un assassinat. Purement et simplement. […] Ce n’est pas une coïncidence si les mensonges contre al-Sharif ont refait surface chaque fois qu’il a rendu compte d’un événement majeur de la guerre.»
Contacté par Libération, le ministère des Affaires étrangères française n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
Mise à jour à 18 heures avec l’ajout de la réaction de l’Unrwa et la publication de documents de l’armée israélienne sur Anas al-Sharif