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Libération
«Carnage»

Israël commet un «génocide» dans la bande de Gaza, selon Amnesty International

Gaza, l'engrenagedossier
Dans un rapport accablant et très documenté, publié ce jeudi 5 décembre, l’ONG assure que l’opération militaire israélienne dans l’enclave palestinienne répond à trois des cinq actes interdits au titre de la Convention de 1948 sur le génocide.
Une Palestinienne tient le corps d'un enfant tué lors des bombardements israéliens, dans une clinique de Rafah, le 26 mai. (Eyad Baba/AFP)
publié le 5 décembre 2024 à 1h01

Près de 45 000 personnes tuées, des enfants amputés, des déplacements forcés… Depuis le 7 octobre 2023, la bande de Gaza est le théâtre d’une offensive militaire israélienne d’une brutalité sans précédent. Dans un rapport accablant publié ce jeudi 5 décembre, Amnesty International accuse Israël de commettre un «génocide» contre les Palestiniens de l’enclave occupée. Selon le document de près de 300 pages, qui s’appuie sur une analyse approfondie des événements survenus entre octobre 2023 et début juillet 2024, Israël a délibérément entrepris des actions visant à la destruction physique des Palestiniens à Gaza, répondant à trois des cinq actes interdits au titre de la Convention de 1948 sur le génocide : les meurtres, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, et la soumission intentionnelle à des conditions de vie destructrices.

L’organisation de défense des droits humains a également conclu que ces actes avaient été commis avec «l’intention» de détruire cette population. «Mois après mois, Israël a traité les Palestiniens de Gaza comme un groupe sous-humain, indigne de droits humains et de leur dignité, démontrant ainsi son intention de les détruire physiquement», déclare Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, précisant que cette conclusion n’est pas «politique», mais qu’elle s’appuie sur des preuves solides. «Ce carnage, qui se déroule sous les yeux du monde, s’inscrit dans le prolongement de plusieurs années d’apartheid, de spoliation et d’occupation militaire illégale.»

Jeudi, Israël a dénoncé un rapport «fabriqué de toutes pièces et basé sur des mensonges» : «Le massacre génocidaire du 7 octobre 2023 a été perpétré par l’organisation terroriste Hamas contre des citoyens israéliens. Depuis lors, les citoyens israéliens sont soumis à des attaques quotidiennes sur sept fronts différents. Israël se défend contre ces attaques en agissant en pleine conformité avec le droit international», précise un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

Plus de 10 000 frappes aériennes en deux mois

Pour se prononcer quant à la qualification de génocide, Amnesty International s’est appuyée sur les récits de 212 personnes (victimes ou témoins palestiniens), des entretiens avec des travailleurs de la santé, des preuves visuelles et numériques ou encore l’analyse des déclarations de hauts responsables israéliens. Le rapport couvre une période de neuf mois, mais l’ONG estime que les politiques et actions d’Israël n’ont pas changé de manière significative depuis la fin de son enquête, au contraire. Au cours des derniers mois, la crise s’est particulièrement aggravée dans le gouvernorat du nord de la bande de Gaza, où la population assiégée fait face aux bombardements incessants, aux déplacements forcés, et aux sévères restrictions d’aide humanitaire.

Selon le rapport, Israël n’a pas tenu compte des avertissements concernant la situation humanitaire catastrophique et les décisions juridiquement contraignantes de la Cour internationale de justice (CIJ), fin janvier, ordonnant à Israël de prendre des mesures pour empêcher de potentiels actes de génocide dans l’enclave palestinienne. L’Etat hébreu justifie son opération militaire auprès de ses alliés par son objectif d’éliminer les membres du Hamas cachés parmi les civils. Or «les actions d’un Etat peuvent servir le double objectif d’atteindre un résultat militaire et de détruire un groupe en tant que tel».

L’armée israélienne a effectué plus de 10 000 frappes aériennes au cours des deux seuls premiers mois de guerre, y compris sur des zones civiles avec des bombes de 900 kg, transformant la bande de Gaza en zone «inhabitable» et entraînant des préjudices sans précédent à la population. «Mon corps a survécu, mais mon âme est morte avec mes enfants, elle a été enfouie sous les décombres avec eux», témoigne dans le rapport Ahmad Nasman, dont la famille a été tuée dans une frappe aérienne survenue à Rafah, le 14 décembre 2023. L’explosion a décapité sa fille de 5 ans, Arwa.

Langage déshumanisant et appels à la destruction

Pour arriver à ces conclusions, Amnesty International a également cherché à déterminer si Israël avait commis ces actes avec «l’intention spécifique de détruire le groupe, en tout ou en partie». Cette notion distingue le génocide d’autres crimes de droit international. Alors que la population de Gaza représente environ 40 % des près de 5,5 millions de Palestiniens vivant dans les Territoires occupés, le rapport précise que l’intention de détruire un groupe «en partie» est suffisante pour établir l’intention spécifique requise à la qualification de crime de génocide.

L’organisation a ainsi identifié une centaine de déclarations publiques d’officiels israéliens, dont 22 de hauts responsables qui appelaient ou justifiaient des actes génocidaires, fournissant des preuves directes de cette intention. Ce langage déshumanisant a été largement repris par les soldats israéliens sur le terrain. Amnesty International a examiné des dizaines de vidéos et enregistrements audio dans lesquels des appels à la destruction de Gaza ou des célébrations de la démolition de maisons, mosquées et écoles palestiniennes sont exprimés. La destruction des infrastructures essentielles, la multiplication des ordres d’évacuation et le blocage de l’aide humanitaire font partie de méthodes qui, avec le temps, peuvent mener à la destruction physique ou biologique des Palestiniens de Gaza.

Pour éviter davantage de souffrances, Amnesty International avertit que les Etats qui continuent de fournir des armes à Israël violent leur obligation de prévenir le génocide et risquent de devenir complices de ce crime. Elle les appelle à respecter les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. «Les crimes atroces commis le 7 octobre 2023 par le Hamas et d’autres groupes armés contre les Israéliens et des victimes d’autres nationalités […] ne peuvent jamais justifier le génocide d’Israël contre les Palestiniens à Gaza», conclut l’ONG.