L’espace à l’intérieur duquel les militaires israéliens acculent la population de la bande de Gaza se réduit comme peau de chagrin. Après avoir progressivement poussé les habitants vers le sud de l’enclave, Tsahal (l’acronyme de l’armée de l’Etat hébreu) a émis mercredi 20 décembre un nouvel ordre d’évacuation immédiate, publié sur les réseaux sociaux. Il concerne plusieurs zones du centre de Khan Younès, où se situent notamment l’hôpital Nasser et un hôpital de campagne installé par la Jordanie, ainsi que la plupart des infrastructures publiques de la ville, la deuxième plus grande du sud de la bande de terre. Une ville qui comptait plus de 110 000 habitants avant le début de l’offensive israélienne et se trouvait déjà surpeuplée par l’afflux de dizaines de milliers de déplacés arrivés du nord depuis deux mois. «L’ampleur des déplacements résultant de l’ordre d’évacuation n’est pas claire», note le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.
Tsahal avait fait part en début de semaine d’une intensification de son opération à Khan Younès, déjà massivement attaquée depuis la fin de la trêve humanitaire d’une semaine avec le Hamas, début décembre. Mercredi, une frappe contre deux maisons de l’est de Khan Younès a coûté la vie à «au moins trente personnes», selon le ministère de la Santé à Gaza, qui s’ajoutent aux plus de 20 000 Gazaouis tués par les bombardements de l’armée israélienne depuis le 7 octobre. Jeudi, le Croissant-Rouge palestinien a déploré des frappes dans la zone de l’hôpital Al-Amal, toujours à Khan Younès. «Des éclats d’obus se sont répandus sur le bâtiment, provoquant un état de peur et de panique parmi les patients et les personnes déplacées», rapporte l’organisation de secours.
12 000 personnes par kilomètre carré
Les Nations unies ne cessent pourtant de dénoncer la destruction des infrastructures de santé de l’enclave palestinienne, où les trois quarts des hôpitaux sont hors-service, en raison des bombardements israéliens et du manque de matériel. Dans le Nord, où se trouve l’hôpital Al-Shifa attaqué en novembre par l’armée israélienne, qui soupçonne le Hamas d’y dissimuler des infrastructures stratégiques, «il n’y a plus d’hôpital en état de marche», selon les propos d’un responsable de l’Organisation mondiale de la santé cités par l’AFP. «L’assaut des forces d’occupation israéliennes contre le système de santé de Gaza prend les formes les plus sadiques», accuse la rapporteuse de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese.
Reportage
Aux civils qui doivent évacuer Khan Younès, les autorités israéliennes intiment de se rendre plus encore vers le sud, dans la zone de Rafah, frontalière de l’Egypte – où les bombardements et les combats n’ont pas cessé pour autant. Là aussi, la ville déborde déjà face à la foule des déplacés internes, à tel point que les nouveaux arrivants ne trouvent plus de refuge dans les camps établis à cet effet et dorment dans la rue, malgré le froid hivernal, dans des conditions humanitaires que les organisations internationales et les ONG qualifient de «cauchemardesques». La densité de population dépasse 12 000 personnes par kilomètre carré, soit quatre fois le niveau d’avant-guerre. «Des milliers de personnes font la queue devant les centres de distribution d’aide pour obtenir de la nourriture, de l’eau, un abri et une protection, alors que les abris [et les autres sites où s’accumulent les déplacés] sont dépourvus de latrines et d’installations d’eau et d’assainissement adéquates», indique l’ONU.
«Possible crime de guerre»
Sur le front nord, l’armée israélienne s’est félicitée jeudi d’avoir pris le contrôle d’un quartier de l’est de ville de Gaza et d’avoir arrêté des individus ayant participé au massacre du 7 octobre. Quel sort leur sera réservé ? Dans un communiqué publié mercredi, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU accuse les militaires israéliens de s’être rendus coupables d’exécutions extrajudiciaires à l’encontre d’hommes détenus dans le cadre d’une opération dans un immeuble résidentiel, la veille au soir. L’organisation internationale, qui base son récit sur des témoignages diffusés par l’Observatoire Euro-Med des droits de l’Homme, affirme que les soldats «auraient séparé les hommes des femmes et des enfants, puis auraient tiré et tué au moins onze des hommes, âgés pour la plupart d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, devant les membres de leur famille. Ils auraient ensuite ordonné aux femmes et aux enfants de se rendre dans une pièce et leur auraient tiré dessus ou jeté une grenade dans la pièce, blessant gravement certains d’entre eux».
A Genève, la représentante d’Israël auprès de l’ONU a balayé ces accusations, qu’elle a jugées «sans fondement et dépourvues de vérité». Mais les Nations unies évoquent un «possible crime de guerre», qui «fait suite à des allégations antérieures concernant le ciblage et l’assassinat délibérés de civils par les forces israéliennes». Les tractations entre le Hamas et l’Etat hébreu se poursuivent, mais la perspective d’une nouvelle trêve qui permettrait l’arrêt des combats, l’acheminement d’aide humanitaire et la libération des otages israéliens semble toujours lointaine. Au Conseil de sécurité de l’ONU, une résolution appelant à un cessez-le-feu est attendue depuis le début de la semaine mais dépend du bon vouloir des Etats-Unis, peu enclins à voter un texte défavorable à leur allié israélien.