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Témoignages

Israël : un nouveau rapport fait état de violences sexuelles systématiques le 7 octobre

Attaques terroristes du 7 octobredossier
L’Association des centres d’aide aux victimes de viol en Israël vient de publier un document qui recense l’ensemble des témoignages et informations faisant état de violences sexistes et sexuelles lors du massacre perpétré par le Hamas il y a cinq mois.
Un mémorial en hommage aux victimes de l'attaque du 7 octobre à Réïm, le 17 décembre. (Alex J. Rosenfeld/Getty Images via AFP)
publié le 22 février 2024 à 20h39

Depuis plus de quatre mois maintenant, les témoignages de violences sexistes et sexuelles perpétrées par les assaillants du 7 octobre sortent au compte-gouttes. D’abord à travers les images insoutenables sur les réseaux sociaux, au lendemain de l’attaque qui a fait au moins 1 200 morts. Puis par les récits des survivants ou des secouristes arrivés sur place. Certains médecins légistes, aussi, ont raconté avec difficulté les corps mutilés qu’ils ont vus arriver par centaines. Et puis trois otages libérés, parmi les 250 personnes emmenées de force à Gaza, ont évoqué des violences sexuelles observées pendant leur détention. Mercredi 21 février, l’Association des centres d’aide aux victimes de viol en Israël (ARCCI), qui chapeaute l’ensemble des centres de luttes contre les violences sexistes et sexuelles dans le pays, a publié un rapport qui tente de dresser un tableau de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles perpétrées le 7 octobre.

Le document ne cite aucune victime – celles-ci, quand elles ne sont pas mortes, sont restées mutiques jusqu’à présent –, mais il a le mérite de cartographier et de résumer l’ensemble des témoignages connus jusqu’ici sur ces violences, ainsi que d’offrir de nouvelles informations confidentielles obtenues auprès des autorités et de l’armée, notamment sur ce qu’ont subi des soldates et des soldats dans les bases militaires attaquées aux abords de Gaza. Il dit aussi avoir obtenu d’autres informations qui doivent rester secrètes pour les besoins de l’enquête en cours.

Violences «systématiques et délibérées»

Les «similitudes» observées dans l’ensemble des récits recensés, au regard «des pratiques recensées par la littérature scientifique sur le sujet des violences sexistes et sexuelles en zone de guerre», permettent au rapport de conclure que celles-ci ont été perpétrées «systématiquement et délibérément contre les civils israéliens». Le rapport se compose de près de 40 pages de descriptions et citations morbides par des témoins oculaires qui ont survécu, des secouristes ou des soldats arrivés juste après les faits, ou encore des médecins légistes ayant examiné les corps. Certains entretiens ont été menés par les auteurs du rapport, d’autres ont été tirés des articles de presse parus depuis octobre.

Toutes les zones attaquées sont concernées. En particulier le festival Nova, le plus documenté grâce aux survivants, mais aussi les différents kibboutz, les bases militaires, et les lieux de détention des otages à Gaza. Le rapport évoque différents «types» de violence qui se répètent : la brutalité systématique des agressions sexuelles, les viols en réunion, les exécutions pendant ou après le viol, et le fait que les violences sont souvent perpétrées devant témoins, notamment des membres de la famille des victimes. Il évoque aussi, en parlant de «sadisme», les très nombreuses mutilations d’organes génitaux, dont les victimes sont en grande majorité des femmes, mais aussi quelques hommes, dans «une logique d’humiliation». Un survivant du festival Nova décrit ainsi «une apocalypse de cadavres, de filles dénudées, parfois sur le haut du corps, parfois sur le bas». Un soldat déployé sur l’une des bases attaquées dit avoir vu au moins dix corps de soldates portant clairement des traces de violence sexuelle.

«Les informations et les témoignages que nous fournissons clarifient sans l’ombre d’un doute ce qui s’est passé, mais des informations importantes manquent encore, prévient en préambule du rapport la directrice de l’ARCCI, Orit Sulitzeanu,. Etant donné que les violences sexuelles sont généralement révélées tardivement, en particulier en temps de guerre, le tableau présenté dans ce rapport est encore préliminaire.» Une précision utile puisque depuis plus de quatre mois, l’absence de preuves directes a suscité chez certains, hors des frontières du pays, un doute sur la véracité des faits, difficilement entendable pour les Israéliens.

Enquête colossale

Niées par le Hamas, ces violences n’ont été par exemple condamnées par l’Unicef que début décembre. Deux mois après l’attaque. Trop tard pour les autorités israéliennes qui regrettent que l’organisation ne mentionne pas leurs auteurs. Signe de la tension suscitée par le sujet. Au regard des images et des témoignages, il ne fait pourtant strictement aucun doute que les violences sexistes et sexuelles commises le 7 octobre sont d’une ampleur inégalée – comme l’est la quantité de morts, les 1 200 tués en Israël le 7 octobre, ou les presque 30 000 victimes de la réponse israélienne à Gaza.

Mais cette ampleur reste malgré tout et pour le moment difficilement mesurable. L’enquête monumentale engagée par Israël sur ce qu’il s’est passé prendra des mois, voire des années. Elle devra aussi attendre les témoignages des 130 otages (dont 30 présumés morts) toujours retenus à Gaza, s’ils sont un jour libérés. Elle doit aussi composer avec deux facteurs qui rendent encore plus complexe son avancée : l’absence d’examens post mortem dans le chaos suscité par le massacre et les tentatives d’identifier au plus vite les victimes pour respecter la tradition religieuse juive qui recommande une inhumation rapide des défunts.

Certaines déclarations, parfois contradictoires, de porte-parole de l’armée israélienne ou d’organisations de secours, ont pu alimenter ce doute. D’où la nécessité, pour une association comme l’ARCCI, de réaliser ce minutieux travail de recension. L’association, et ses neuf centres répartis en Israël, recueille des témoignages de victimes de violences sexuelles depuis les années 90. Elle dit en recevoir près de 50 000 par an. Depuis le 7 octobre, elle est en première ligne pour tenter de rassembler preuves et témoignages, et surtout convaincre l’opinion publique mondiale de la nécessaire condamnation de ces crimes. L’idée fait son chemin. La France a même décidé d’y contribuer, le 5 février, en annonçant une aide financière «à hauteur de 200 000 euros» lors d’une visite du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, à Jérusalem. Il avait alors jugé «indigne» la «négation» et la «relativisation» des crimes sexuels en Israël. Au même titre que Pramila Patten, représentante spéciale de l’ONU en charge des violences sexuelles en période de conflit, qui avait appelé quelques jours plus tôt les femmes victimes des violences sexuelles du 7 octobre à «briser le silence».