L’animosité des parties prenantes – Israël et le Hamas – et l’ampleur de la prise d’otages – au moins 240 personnes détenues dans la bande de Gaza – ne laissaient qu’une organisation capable de mettre en œuvre l’accord sur la libération de 50 d’entre eux contre celle de 150 prisonniers palestiniens : le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). C’est à lui qu’est revenue la logistique de l’opération, forcément complexe dans une bande de Gaza dévastée par les bombardements. Elle devrait débuter ce jeudi 23 novembre, premier jour d’une trêve prévue pour en durer quatre. «Ce sera une journée qui fera office de test. Il est absolument impératif que la trêve soit respectée par toutes les parties», explique Frédéric Joli, porte-parole du CICR en France.
Même si les bombardements cessent, la tâche ne sera pas simple. Il faudra peut-être, outre les traditionnels Land Cruiser siglés d’une croix rouge du CICR à Gaza, des ambulances en état de rouler avec des médecins si des malades ou des blessés figurent dans la liste des libérés. Il faudra aussi de l’essence, devenue plus que rare dans l’enclave. Il faudra éventuellement un chronométrage précis du trajet si les prisonniers palestiniens détenus par Israël doivent être libérés simultanément.
Reconnu pour sa neutralité, le CICR, fondé en 1863 et trois fois lauréat du prix Nobel de la paix, a l’habitude de ce type d’opérations, même si elles sont rarement autant scrutées par les médias et les pouvoirs politiques. C’est lui qui a écrit les conventions de Genève ratifiées au niveau mondial, et qui s’imposent aux Etats et aux groupes armés. Il compte plus de 20 000 employés, dont environ 130 à Gaza (90 Palestiniens et une quarantaine d’expatriés).
Une logistique particulièrement lourde au Yémen
Présent dans la quasi-totalité des pays en conflit, le CICR est spécialiste de l’accès aux prisonniers et des négociations pour les libérer. Sa dernière opération médiatisée s’est déroulée le 30 octobre au Soudan, pays inaccessible à la presse, avec la libération de 64 membres des Forces armées soudanaises détenus par les miliciens des Forces d’appui rapide du général rebelle Mohamed Hamdan Dogolo.
Au Yémen, pays fracturé entre le nord et le sud, victime d’une crise humanitaire majeure, le CICR a organisé l’échange de près de 900 détenus en avril entre les rebelles houtis et le gouvernement soutenu par l’Arabie Saoudite. La logistique fut particulièrement lourde : quatre avions qui ont effectué 15 vols entre six aéroports. En octobre 2020, lors de la libération de 1 000 détenus, le CICR avait mobilisé cinq appareils qui ont décollé de trois aéroports, dont l’un en Arabie Saoudite. Ils devaient être en vol en même temps, ce qui avait nécessité de coordonner les tours de contrôle.
Le CICR était aussi à la manœuvre lors de la prise d’otages à la résidence de l’ambassadeur du Japon au Pérou en décembre 1996. Il lui faudra quatre mois pour obtenir de la guerilla Tupac Amaru qu’elle relâche les derniers des 700 prisonniers. Le même responsable du CICR sera présent à Moscou en octobre 2002 lors de la prise d’otages de 900 personnes dans un théâtre de la capitale russe par des séparatistes tchétchènes. Il obtiendra la libération de quatre d’entre elles avant que les forces spéciales russes lancent un assaut qui se soldera par la mort de plus de 120 otages.
En Afghanistan, présent dans les prisons des talibans et du gouvernement
A l’inverse de ces opérations médiatisées, le CICR négocie dans des pays en guerre des accès aux prisonniers, pour que leur famille sache au moins où ils sont, et puissent communiquer avec eux. En Afghanistan, lorsque les forces étrangères étaient encore déployées dans le pays, entre 2002 et 2021, il réussissait à aller dans des prisons des deux côtés, celles des talibans et celles du gouvernement soutenu par la coalition, notamment à Bagram, au nord de Kaboul, où étaient détenus des insurgés de haut rang, tel Anas Haqqani, l’un des dirigeants du réseau du même nom. Il avait aussi mis en place un système de vidéoconférence, comme un parloir virtuel, grâce auquel des familles de prisonniers pouvaient discuter avec leurs proches depuis Kaboul.
Les négociateurs butent régulièrement sur des refus catégoriques. Le régime syrien ne le laisse par exemple pas accéder à la prison de Saidnaya, à proximité de Damas, l’une des pires du pays, où la torture et les mauvais traitements sont la norme. Le CICR visite en revanche les camps du nord-est syrien, où des familles de membres de l’Etat islamique sont emprisonnées depuis parfois plus de cinq ans.