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Le groupe Wagner: bottes secrètes de Poutine à l’étranger

«Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine», diffusé dimanche soir sur France 5 décrit avec minutie et courage le rôle de cette société de mercenariat russe, qui a fait de la Centrafrique son principal laboratoire.
Le groupe est principalement implanté en Centrafrique. (CAPA)
publié le 18 février 2022 à 19h03

Qui remplira le vide laissé par les armées françaises et européennes au Mali après leur retrait ? Le nébuleux groupe de mercenaires russe Wagner, qui a déjà envoyé un petit millier d’hommes sur place ? Il faut souhaiter que non pour la population malienne, à la lumière de l’implacable enquête diffusée dimanche soir sur France 5, en partenariat avec Libération, intitulée Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine. Les deux réalisatrices, Ksenia Bolchakova et Alexandra Jousset, ont travaillé pendant deux ans sur le sujet. Elles sont allées en Russie, où elles ont rencontré un ancien, Marat, qui témoigne face caméra. Réformé de l’armée pour ses accointances avec la pègre, il s’est enrôlé comme mercenaire pour l’argent (des salaires compris entre 950 et 2 000 euros). Il s’est battu en Syrie.

Après l’Ukraine en 2014, les barbouzes de Wagner ont épaulé le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, où ils se sont rendus coupables de terribles exactions. Une vidéo de 2017 en témoigne : des hommes supplicient en souriant un déserteur de l’armée syrienne. Des psychopathes ? Peut-être, mais l’explication est un peu courte. Ce que montre ce film, c’est au contraire que Wagner est un outil au service de l’Etat profond russe, financé par l’oligarque Evgueny Prigojine et dirigé par un ancien du renseignement militaire, Dmitri Outkine, fasciné par Hitler. Cet instrument articule violence, prédation et propagande au service d’une politique de confrontation avec les Occidentaux, comme le formule dans le film un homme de Wagner toujours en activité.

L’exemple le plus abouti, le plus terrifiant aussi, de la mainmise de la milice sur un Etat est la Centrafrique. Bangui, la capitale, a des airs de «Wagnerville», avec ces hommes armés qui sillonnent les rues, sans uniforme, le visage dissimulé. Garde prétorienne du président Touadéra, Wagner élimine les opposants au pouvoir, ou les torture. Plusieurs témoins confirment ces faits, déjà dénoncés par la mission des Nations unies dans le pays. Dans le même temps, des sociétés contrôlées par Prigogine exploitent les gisements de diamants, se payant ainsi sur la bête. De prétendus médias se chargent de contrer toute enquête indépendante – les deux réalisatrices ont elles-mêmes fait l’objet d’une de ces manœuvres de déstabilisation, leur fixeur a carrément dû s’exiler. Trois journalistes russes ont payé de leur vie leurs investigations sur Wagner en Centrafrique.

L’intérêt du documentaire tient moins à ses révélations, qui ne changent pas fondamentalement ce qu’on savait déjà sur la milice, qu’à sa description minutieuse et courageuse d’une nouvelle arme entre les mains du pouvoir russe. La société de mercenariat, avec laquelle le Kremlin se défend d’avoir le moindre lien, a envoyé de façon systématique ses hommes dans des zones d’intérêt pour Moscou. En Libye, aux côtés du maréchal Haftar, au Soudan, mais aussi à Madagascar et au Mozambique. Dans ces deux pays, Wagner n’a pas réussi à s’implanter. Des défaites cuisantes qu’il n’est pas inutile de rappeler. Wagner n’est pas invincible.

(1) Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine, de Ksenia Bolchkova et Alexandra Jousset, diffusion dimanche 20 février à 20h55 sur France 5.