SÉRIE. Le 4 août 2020, une double explosion au port de Beyrouth faisait 215 morts et 6 500 blessés. Depuis, le Liban poursuit sa chute vertigineuse. Libération explore un Etat en décomposition et raconte comment la société civile tente de reconstruire le pays.
Pénétrer dans le palais de justice de Beyrouth, c’est entrer dans un univers pesant et encombré. Chaque étagère du service des archives semble sur le point de s’effondrer, croulant sous le poids d’une tonne de paperasse, accumulation de milliers de chemises en papier pastel empaquetées à la grosse ficelle. Au fond d’un couloir, le juge qu’on appellera Abbas est assis à son bureau, presque effacé derrière les deux immenses piles de dossiers qui congestionnent son plan de travail. «Désolé du bazar, la magistrature a fait grève pendant plus d’un an pour demander une revalorisation de nos salaires après la crise… Les dossiers se sont accumulés», s’excuse l’homme. Au palais de justice, le quotidien des magistrats est devenu intenable. Le juge Abbas compose chaque jour avec les pénuries d’électricité, de papier ou même d’encre.
S’il choisit l’anonymat, c’est qu’il ne fait plus bon au Liban être magistrat et parler aux médias. Depuis avril, l’ordre des avocats interdit à tout membre du barreau de s’exprimer sans autorisation. Les juges, eux, doivent désormais demander l’accord du ministère de la Justice.