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Libération
Critique

Le «Livre noir de Gaza», comment raconter un territoire inaccessible

En s’appuyant sur une série de rapports d’ONG et de témoignages, un ouvrage retrace l’histoire de l’enclave et ses horreurs, dans l’optique de «faire mémoire».
A Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 29 juin. (Jehad Al Shrafi/Libération)
publié le 8 octobre 2024 à 20h45

On croit deviner à l’avance le contenu de ce Livre noir de Gaza, tant on a suivi depuis un an tous les ravages humains et matériels causés par les attaques de l’armée israélienne sur l’enclave de 360 km² et ses 2,2 millions d’habitants piégés. Mais cet ouvrage compact, à base d’une sélection de rapports d’ONG internationales, palestiniennes et israéliennes, est loin d’être un catalogue de drames et d’abus. Les «documents rassemblés pour faire mémoire», selon l’avertissement de l’éditeur, offrent surtout un aperçu concentré, analysé et contextualisé du déchaînement de violence débridée à la suite des massacres du 7 Octobre.

Cette date du «choc effroyable», devenue historique dès le premier jour, ne marque pourtant pas le début de l’histoire du conflit israélo-palestinien, rappelle dans la préface du livre Rony Brauman. Le cofondateur et ancien directeur de Médecins sans frontière (MSF) évoque le «statu quo» aberrant qui prévalait jusqu’au 6 octobre 2023 à Gaza et en Cisjordanie, où il ne se passait «médiatiquement rien». Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient, revient de son côté dans son introduction sur l’histoire de la bande de Gaza, en particulier depuis 1948 jusqu’au blocus total imposé par Israël depuis le début de la guerre. Dans le territoire rendu inaccessible, notamment aux médias internationaux, seules les ONG ont pu documenter les horreurs sur place. D’où le recours à leurs rapports comme sources principales dans ce «livre noir».

Banalisation de l’horreur quotidienne

Les deux premiers présentés datent d’avant octobre 2023. Celui de l’ONG israélienne B’Tselem, datant de 2017 et mis à jour en février 2023, décrit Gaza comme «le théâtre d’une catastrophe humanitaire qui ne doit rien à des causes naturelles». De son côté, Human Rights Watch présente dans un document de juin 2022, intitulé «une prison à ciel ouvert», les entraves à la circulation des Palestiniens de Gaza imposées par Israël et l’Egypte depuis 2007.

Les rapports, mais aussi les témoignages sélectionnés dans l’ouvrage, sont regroupés en sept sections thématiques retenant les documents des organisations spécialisées. Ainsi, les attaques sur le système de santé sont détaillées essentiellement par MSF. La partie sur «l’information empêchée et les journalistes visés» est alimentée par les appels de RSF. Pour ce qui est de «la dévastation des lieux», on apprend des termes utilisés par des organisations spécialisées, comme «urbicide» pour la destruction des bâtiments ou encore «écocide» pour l’écrasement des terrains et matériel agricoles. On peut regretter de ne pas trouver un terme spécifique sur les frappes sur les écoles ou universités, considérées comme «crimes de guerre».

La rétrospective rythmée que présente ce livre-document sur la vie et la mort à Gaza depuis un an nous fait réaliser combien la banalisation de l’horreur quotidienne nous a fait oublier certains épisodes choquants. On les retrouve aussi à la fin du livre dans la précieuse chronologie détaillée des principaux événements militaires, humanitaires et diplomatiques entre le 7 octobre 2023 et le 15 juillet 2024.

Le Livre noir de Gaza, sous la direction d’Agnès Levallois avec une préface de Rony Brauman, Seuil, 250 pp., 21€.