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Libération
Droits humains

Le nouveau président iranien Ebrahim Raissi rattrapé par les massacres de 1988

Investi jeudi, le prochain chef de l’Etat, issu du camp ultraconservateur est critiqué par des opposants pour son rôle au sein de la «commission de la mort» lorsqu’il était procureur adjoint de Téhéran.
Lors d’un rassemblement de soutien à Raïssi, à Téhéran le 16 juin, peu avant la présidentielle dont il sortira gagnant. (Atta Kenare /AFP)
publié le 2 août 2021 à 7h15

Elu président le 18 juin, l’ultraconservateur Ebrahim Raissi a fait toute sa carrière dans la justice, jusqu’au sommet : en mars 2019, le Guide suprême, Ali Khamenei, l’a nommé chef de ce pouvoir traditionnellement acquis aux plus durs du régime. Ses derniers postes lui ont permis de faire valoir, pendant la campagne ce printemps, sa lutte acharnée contre la corruption. Mais une autre ligne de son CV intrigue les opposants à l’intérieur et à l’extérieur du pays. En 1988, alors qu’il avait 27 ans, Ebrahim Raissi a participé au comité qui, à Téhéran, décidait quels prisonniers devaient être exécutés, et ils devaient presque tous l’être aux yeux de cette instance surnommée la «commission de la mort».

Selon l’épais rapport rédigé en 2011 par l’avocat britannique Geoffrey Robertson, Ebrahim Raissi occupait à cette époque le poste de procureur adjoint de Téhéran. Son supérieur, Morteza Eshraqi, était membre permanent du comité, aux côtés d’un juge religieux et d’un représentant du ministère des Renseignements. Raissi «a remplacé à l’occasion» le procureur Eshraqi, relève l’enquête réalisée à partir de témoignages de survivants.

Dans une étude parue en 2017, Amnesty International rappelle deux épisodes confirmant son implication. Mi-août 1988, alors que la vague d’exécutions a commencé depuis environ trois semaines, un très haut responsable politico-religieux envoie un courrier pour protester. L’ayatollah Montazeri, compagnon de route et successeur putatif du fondateur de la République islamique, rappelle en dix points les critiques contre la vague d’exécutions qu’il a formulées oralement et par écrit auprès de l’ayatollah Khomeiny, le Guide suprême. Ebrahim Raissi est l’un des quatre destinataires, avec les autres membres du comité. Dans ses mémoires parus en 2000, l’ayatollah Montazeri raconte avoir exprimé son opposition lors de réunions avec les protagonistes, dont Ebrahim Raissi.

Ses responsabilités en 1988 et récentes lui ont valu, en novembre 2019, d’être inscrit sur la liste des sanctions américaines par l’administration Trump. Ses concurrents politiques ont tenté d’utiliser son passé contre lui lors de débats télévisés ou de meetings. Jamais trop frontalement, tant le sujet reste sensible aujourd’hui en Iran. L’actuel président Hassan Rohani avait par exemple tancé une conception de la politique qui se limitait «à des exécutions et des détentions».

Raissi n’a jamais contesté sa participation dans ses rares prises de parole sur le sujet. Interrogé lors de sa première conférence de presse après son élection en juin, il s’est contenté de répondre qu’il avait toujours «défendu les droits humains et protégé la sécurité [de la population]». Amnesty International, entre autres ONG, s’est alarmé du symbole que représente son accession à la présidence, alors qu’il devrait «faire l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité, meurtre, disparitions forcées et torture». «Un rappel sinistre que l’impunité règne en maître en Iran», cinglait Amnesty. Dans des termes plus choisis, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains en Iran, Javaid Rehman, a lui aussi exhorté à faire toute la lumière sur 1988 après l’annonce de la victoire d’Ebrahim Raissi.