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Religions

En Irak, le pape et l’ayatollah chiite Sistani font vœu de paix

Le grand ayatollah de Najaf s’est entretenu pendant près d’une heure avec le chef des catholiques, venu pour tendre la main à l’islam chiite et porter la cause des chrétiens d’Irak. A Ur, le Pape a appelé à l’unité et à la paix au Moyen Orient.
Le grand ayatollah Ali al-Sistani et le pape François, samedi à Najaf. ( Ho/AP)
publié le 6 mars 2021 à 11h08

Le grand ayatollah Ali Sistani, référence de la majorité des musulmans chiites d’Irak et du monde, veut que les chrétiens d’Irak vivent «en paix» et avec «tous les droits», a-t-il déclaré samedi lors d’une rencontre inédite avec le pape François dans la ville chiite de Najaf. Le pape fait actuellement un voyage en Irak pour tendre la main à l’islam chiite et porter la cause des chrétiens d’Irak. Dans ce pays musulman où ils ne représentent que 1 % de la population, les chrétiens se disent régulièrement victimes de discrimination. La visite du pape, sous très haute sécurité, se déroule aussi sur fond de confinement total avec plus de 5 000 contaminations par le Covid-19 chaque jour.

Rencontre au sommet

C’est la première fois dans l’histoire que le pape, chef des 1,3 milliard de catholiques du monde, s’entretient avec le grand ayatollah de Najaf. Les deux hommes se sont enfermés pour un huis clos de cinquante minutes dont deux choses seulement ont filtré : une photo et un communiqué.

La photo montre les deux responsables religieux côte à côte – le grand ayatollah, turban noir des descendants du prophète Mahomet et tenue assortie, et à sa gauche le pape, tout de blanc vêtu et flanqué de cardinaux en chapes rouges et noires. Agé de 90 ans, longue barbe et carrure frêle, l’ayatollah n’est jamais apparu en public. Il répond habituellement par écrit aux questions qui lui sont adressées et il fait lire ses sermons chaque vendredi par des représentants.

Cette fois-ci toutefois, il a fait publier un communiqué, remerciant personnellement le pape François de sa venue à Najaf. Le grand ayatollah a assuré au pape «l’attention qu’il porte au fait que les citoyens chrétiens vivent comme tous les Irakiens en paix et en sécurité, forts de tous leurs droits constitutionnels», indique le texte.

Fierté pour les chiites

Cette étape à Najaf lors du voyage papal en Irak est une source de fierté pour de nombreux chiites, dans un pays qui va depuis quarante ans de conflits en crises, en passant par une guerre civile meurtrière entre musulmans chiites et sunnites. «Nous sommes fiers de ce que représente cette visite […], elle va donner une autre dimension à la ville sainte», se félicite le dignitaire chiite Mohammed Ali Bahr al-Ouloum. Les 200 millions de chiites du monde sont minoritaires parmi les 1,8 milliard de musulmans.

De nationalité iranienne, le grand ayatollah Sistani se pose depuis des décennies en garant de l’indépendance de l’Irak et dirige une école théologique qui prône le retrait des religieux de la politique (ils doivent seulement conseiller), au contraire de l’école de Qom en Iran. «L’école théologique de Najaf est plus laïque que celle de Qom, davantage religieuse», rappelle le cardinal espagnol Miguel Angel Ayuso, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux. Najaf «accorde plus de poids à l’aspect social».

Le grand ayatollah a d’ailleurs pesé de tout son poids pour faire tomber le gouvernement qu’ont conspué durant des mois en 2019 de jeunes manifestants fatigués de voir leur pays s’enfoncer dans la corruption et la gabegie.

Après Najaf, François a continué son parcours vers le sud, à Ur, ville antique où selon la tradition est né le patriarche Abraham. Lors d’une prière œcuménique, le pape a de nouveau plaidé pour que «la liberté de conscience et la liberté religieuse soient respectées et reconnues partout».

A Ur, le pape prie pour la «paix» et l’«unité» au Moyen-Orient

Dans ce pays Irak, ravagé en 2014 par le groupe jihadiste Etat islamique (EI), le souverain pontife a dénoncé le terrorisme au nom de la religion. «Hostilité, extrémisme et violence […] sont des trahisons de la religion. Et nous, croyants, nous ne pouvons pas nous taire lorsque le terrorisme abuse de la religion. Au contraire, c’est à nous de dissiper avec clarté les malentendus», a-t-il déclaré devant les dignitaires chiites, sunnites, yazidis, zoroastriens, bahaïs et sabéens. Le patron des catholiques a prié pour la paix dans «tout le Moyen-Orient, je pense en particulier à la Syrie voisine, martyrisée». «Il est indigne, alors que nous sommes tous éprouvés par la crise de la pandémie, et surtout ici où les conflits ont causé tant de misère, que l’on pense avidement à ses propres affaires. Il n’y aura pas de paix sans partage et accueil, sans une justice qui assure équité et promotion pour tous, à commencer par les plus faibles. Il n’y aura pas de paix sans des peuples qui tendent la main à d’autres peuples», a commenté le souverain pontife.

Le pape poursuivra ensuite son voyage – sous haute protection et en confinement total du fait de la pandémie – avec une messe dans une église de Bagdad, sa première rencontre avec les fidèles catholiques d’Irak et de loin ce qu’il préfère. Dans le quartier central de Karrada où se trouve l’église Saint-Joseph, des blocs de béton barrent déjà les rues et les forces spéciales sont déployées.