Voilà trois jours qu’Abu Eli la fredonne. Bala wala shi, la mélodie si douce du chanteur Ziad Rahbani, disparu la semaine passée. «Une perte de plus pour le Liban», soupire-t-il, affalé sur sa vieille chaise en plastique, à l’entrée du parking qu’il garde au nord de Beyrouth. Face à lui, la route trace les lignes d’un carrefour animé, entre les quartiers de Karantina et Mar Mikhael. «J’habite ici depuis trente ans, commente-t-il en tirant sur sa cigarette. Et je me souviens de tout ce qui a disparu ici.» D’un geste, il désigne un immeuble de pierre sableuse, abandonné depuis la guerre civile : l’endroit de l’ancienne boulangerie fermée dès les débuts de la crise au seuil de la rue d’Arménie. Puis, il approche un mur du parking, comme rongé. «Les gens ne le voient plus, ou bien ils l’ont oublié. Mais ce morceau-là, c’est l’explosion du port qui l’a arraché», explique-t-il en caressant la vieille pierre.
Le 4 août 2020, à moins d’un kilomètre de là, une double déflagration soufflait le port et les quartiers alentour, tuant plus 2