La fusée blanche s’est élevée dans le ciel dégagé depuis un site non identifié dans le désert. Jeudi matin, l’Iran a annoncé à la télévision avoir procédé avec succès au décollage de Simorgh, un lanceur de satellites qui devait envoyer trois «appareils de recherche» dans l’espace. «Les objectifs de recherche prévus pour ce lancement ont été atteints», s’est félicité Ahmad Hossein, le porte-parole de l’unité spatiale du ministère iranien de la Défense, qui pilote ce programme. «Il s’agissait d’un lancement préliminaire et nous aurons des lancements opérationnels dans un proche avenir», a-t-il ajouté, sans plus de précisions.
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— Kian Sharifi (@KianSharifi) December 30, 2021
Un certain flou entourait également la mise sur orbite des appareils de recherche. Elle aurait échoué, selon plusieurs journalistes iraniens (ici ou là), Mais ce qui est scruté de près, c’est l’utilisation de Simorgh, cette fusée portant le nom d’un oiseau mythique du Livre des Rois de Ferdowsi. Développée à partir de 2010, elle est soupçonnée de servir de paravent aux ambitions balistiques, donc militaires, de Téhéran. En 2017, un rapport du renseignement américain notait que les «progrès du programme spatial iranien pourraient raccourcir le chemin vers [les missiles balistiques intercontinentaux] [ou ICBM, ndlr] car les lanceurs spatiaux utilisent des technologies intrinsèquement similaires» : «[Simorgh] pourrait servir de banc d’essai au développement de technologies d’ICBM.»
Les progrès de l’Iran en la matière inquiètent donc particulièrement les Occidentaux. La résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui endossait l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, tentait de les encadrer en enjoignant l’Iran à «ne mener aucune activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des charges nucléaires». Le pouvoir iranien joue sur cette ambiguïté entre spatial et balistique pour défendre la légitimité de ses essais, qui se sont multipliés depuis une décennie.
Jeudi soir, les Etats-Unis se sont dits « préoccupés par le développement iranien de lanceurs spatiaux, qui pose un risque de prolifération ». La France a condamné vendredi le lancement qui « participe directement aux progrès déjà préoccupants de l’Iran dans son programme de missiles balistiques ». « Le rôle du ministère de la défense dans ce lancement témoigne du lien étroit entre ces deux programmes [balistique et spatial, ndlr] », ajoute le Quai d’Orsay.
Arsenal le plus étoffé
«[Les missiles iraniens] peuvent frapper à travers le Moyen-Orient. Ils peuvent frapper avec précision et avec du volume, s’alarme le général McKenzie, à la tête du commandement des Etats-Unis pour le Moyen-Orient, dans un récent article du New Yorker. Les Iraniens ont le dessus sur ce théâtre, ils ont la capacité de submerger.» Selon l’Agence du renseignement de la défense (DIA) des Etats-Unis, la République islamique dispose de l’arsenal le plus étoffé et diversifié de la région.
Soucieux donc, les Occidentaux espèrent limiter un jour les ambitions balistiques iraniennes, mais un autre dossier plus urgent les occupe déjà : le dossier nucléaire. Le lancement de jeudi est en effet intervenu alors que, pour la première fois depuis la reprise des négociations fin novembre, les discussions semblent avancer dans le bon sens pour sauver l’accord de 2015, déchiré par Trump puis violé par l’Iran. Les quelques confidences et indiscrétions laissent penser qu’elles sont au moins sorties de l’impasse qui leur était quasiment promise. Le département d’Etat américain a évoqué mardi des progrès «modestes» et le chef de la délégation iranienne, Ali Bagheri Kani, a parlé deux jours plus tard de progrès «relativement satisfaisants». Mikhaïl Oulianov, le prolixe ambassadeur à la tête de l’équipe de négociation russe, a lui aussi fait état d’une «tendance positive». Dans sa réaction courroucée au lancement de jeudi, la France a souligné qu’il intervenait « à un moment où des progrès [sont enregistrés] dans la négociation nucléaire à Vienne ».
Alors que les Européens et les Américains ont un temps imaginé négocier le nucléaire, la balistique et la politique régionale de l’Iran en même temps, ils se sont résignés à restaurer d’abord ce qui peut l’être, donc l’accord de Vienne. Le programme de missiles est un sujet encore plus sensible pour le régime iranien qui l’a placé au cœur de sa stratégie de défense. Contrairement au programme nucléaire, officiellement à usage civil, donc entre les mains d’une institution civile (l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran), les développements balistiques sont partagés entre l’armée régulière, qui a notamment conçu Simorgh, et les Gardiens de la révolution, qui ont mis au point d’autres modèles, certains plus avancés. Ils étaient parvenus à mettre en orbite un satellite en avril 2020 au moyen d’un lanceur d’une sophistication inédite.
Mise à jour le 31 décembre à 15h45 : ajout des réactions des Etats-Unis et de la France