Alors qu’au Parlement libanais, ce mercredi 15 mai, la présence des migrants et réfugiés syriens était au cœur des débats politiques, environ 330 d’entre eux ont quitté hier le Liban pour rejoindre leur pays natal, dévasté par la guerre. Le rapatriement de ces réfugiés, acheminés à bord de cars et de camionnettes depuis la région d’Ersal, dans le nord-est du pays, s’inscrit dans le cadre d’un programme de retour «volontaire» fortement encouragé par l’Etat libanais, en étroite collaboration avec Damas. «Je rentre seul pour le moment, pour préparer le retour de ma famille. Je suis heureux de rentrer dans mon pays après dix ans» d’exil, a raconté à l’AFP un homme de 57 ans, qui a préféré rester anonyme.
Le convoi organisé ce mardi intervient dans un climat de plus en plus hostile à la présence des ressortissants syriens, sur fond de grave crise économique au Liban. Depuis plusieurs mois, les autorités de Beyrouth multiplient les mesures restrictives à l’encontre des déplacés, jugés en partie responsables du délitement socio-économique du pays, et appellent la communauté internationale à organiser leur retour. Depuis le début de la guerre civile en Syrie, en 2011, le Liban dit avoir accueilli près de deux millions de réfugiés (800 000 selon les chiffres de l’ONU), soit le plus important ratio par habitant au monde.
Actes anti-Syriens
Le 2 mai, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé lors d’une visite à Beyrouth une aide d’un milliard d’euros afin d’aider à la «stabilité socio-économique» du Liban, en contrepartie d’une «bonne coopération» des autorités du pays dans la lutte contre l’immigration clandestine. Entre janvier et avril, plus de 40 bateaux partis des côtes libanaises et transportant environ 2 500 personnes ont accosté à Chypre, pays de l’Union européenne situé à environ 200 kilomètres.
Reportage
L’aide européenne a suscité de vives critiques de la part de dirigeants politiques libanais, qui y voient un encouragement à maintenir les Syriens au Liban. Lundi soir, le chef du puissant Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exhorté les autorités libanaises à «ouvrir la mer» aux bateaux de migrants pour faire pression sur l’Europe. Dans la rue, les actes anti-Syriens se multiplient. Violences physiques, licenciements, menaces… la communauté fait face à une vague d’hostilité, aggravée par le meurtre de Pascal Sleimane, un responsable local du parti chrétien des Forces libanaises (FL), dont le corps a été retrouvé le 8 avril en Syrie.
«Toujours pas un endroit sûr»
En dépit de la situation plus que difficile au Liban, les ONG s’inquiètent de ces rapatriements. Depuis octobre 2022, date à laquelle Michel Aoun, ancien président libanais, a annoncé vouloir reprendre les retours «volontaires» vers la Syrie – après quelques départs peu nombreux depuis 2017 –, Amnesty International alerte sur cette politique. «Compte tenu des conditions déplorables dans lesquelles les réfugiés syriens vivent au Liban, il est permis de douter de leur capacité à donner un consentement véritablement libre», dénonçait Diana Semaan, directrice adjointe par intérim pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime que 90 % des réfugiés syriens installés au Liban vivent dans l’extrême pauvreté.
Les organisations de défense des droits humains insistent également sur le risque d’arrestation et de violences commises par le régime de Damas. «La Syrie n’est toujours pas un endroit sûr, estime Ramzi Kais, chercheur sur le Liban au sein de l’ONG Human Rights Watch (HRW). Entre 2017 et 2021, nous avons pu documenter de graves répercussions sur des Syriens de retour du Liban ou de Jordanie vers la Syrie». «La situation générale en Syrie ne permet toujours pas un retour sûr, digne et durable des réfugiés syriens dans leur pays d’origine», indiquait le Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme dans un rapport publié le 13 février. Le texte alertait notamment sur les méthodes de torture, d’emprisonnement ou de disparition forcée encore utilisées par le régime syrien. En dépit de ces nombreuses réserves, le Liban assure considérer comme sûres les régions contrôlées par le régime Assad.