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Vente d'armes

Moyen-Orient : la FIDH dénonce «une Europe qui arme des bourreaux»

Guerre au Proche-Orientdossier
Un rapport de la Fédération internationale pour les droits humains pointe la responsabilité des ventes d’armes de l’UE dans l’instabilité au Moyen-Orient. L’ONG y alerte sur les défaillances des Vingt-Sept dans leur régulation.
Au salon mondial de la défense et de la sécurité, à Paris, le 14 juin 2022. (Kiran Ridley /Getty Images via AFP)
par Emma Larbi
publié le 21 mai 2024 à 18h16

Les livraisons d’armes européennes au Moyen-Orient font grincer de plus en plus de dents. Qui plus est après les demandes de mandats d’arrêts de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre les Israéliens Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant d’une part, et les leaders du Hamas d’autre part. Certaines organisations de défense des droits humains s’interrogent sur les ventes d’armements dans une région en proie à une escalade sans précédent. Plusieurs syndicats et associations ont appelé à manifester ce mardi 21 mai devant le ministère des Armées, dans le XVe arrondissement de Paris, pour dénoncer les partenariats d’armements entre les deux Etats et leurs industries.

Israël, mais aussi l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis ou encore l’Egypte… Au sein de l’Union européenne (UE), les ventes d’armes à destination des zones sensibles prospèrent malgré les appels à la paix répétés des chancelleries diplomatiques. C’est ce que révélait la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dans un rapport publié le jeudi 16 mai, en collaboration avec plusieurs organisations de défense des droits humains et l’Observatoire des armements, un centre d’expertise indépendant. Selon l’ONG, avec «20 à 40 % du total des transferts des principaux pays européens exportateurs» livrés au Moyen-Orient entre 2018 et 2022, la région constitue «la première destination des ventes d’armes européennes». Un commerce mené par Paris, en tête des exportateurs européens, avec 35 % de ses livraisons vers la région, suivi de près par Berlin, Rome et Madrid.

Une industrie «de moins en moins contrôlée»

Les Vingt-Sept ont pourtant ratifié le traité des Nations unies sur le commerce des armes qui interdit aux Etats membres «que ces matériels et marchandises soient utilisés pour commettre de graves violations des droits humains». Par ailleurs, ils sont soumis à la «position commune» de l’UE, une disposition «contraignante mais non coercitive», détaille la FIDH, émettant huit critères, notamment en faveur des droits humains ou de la traçabilité des armes, que les Etats s’engagent à respecter lors de l’examen des demandes d’exportations d’armements. Reste qu’entre 2018 et 2022, «ces ventes et exportations continuent et s’amplifient» malgré «les violations du droit international dans la région», rappelle l’ONG.

Le rapport signale que l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Yémen et la Libye, où des armes européennes circulent en nombre, constituent tous des pays «déchirés par les conflits et gouvernés par des dures dictatures». Yosra Frawes, responsable du bureau Maghreb et Moyen-Orient de la FIDH dénonce «une Europe qui arme des bourreaux». Alors que les puissances du Golfe ont très durement bombardé le Yémen depuis 2015, la France, partenaire privilégié, a «refusé toute suspension des exportations d’armes à la coalition arabe», note l’organisation de défense des droits humains.

Dans le sillage des Etats, l’ONG interpelle une industrie européenne de l’armement «de moins en moins contrôlée», soulève-t-elle, «et de plus en plus impliquée dans les violations en cours». Le rapport indique «une utilisation massive de leurs armes au Yémen» et «de nouveaux cas en Arabie Saoudite et en Libye» avec «des drones autrichiens Schiebel […] dans des opérations meurtrières contre les civils en Libye», détaille le texte, «une munition belge Mecar […] lors d’une répression de la minorité chiite en Arabie Saoudite».

«Mécanisme de sanctions»

Malgré plusieurs cas préoccupants énumérés par l’ONG, des fleurons de l’industrie européenne prennent part à des projets du fonds européen de défense, doté de 8 milliards d’euros pour la période budgétaire 2021-2027. C’est notamment le cas de Thales, mastodonte hexagonal, engagé dans «60 projets du fonds européen» alors même que «la France a fourni à l’Arabie Saoudite des nacelles Thalès Damoclès XF pour guider les bombes», souligne la FIDH. Une aide à l’industrie financée «par le contribuable», critique l’ONG, qui explique qu’elle est dirigée par la seule Commission européenne «sans le moindre droit de regard du Parlement européen».

Pour obtenir un meilleur encadrement du commerce de l’armement, l’ONG milite pour un «mécanisme de sanctions» en cas de non-respect des critères de vente et une intégration du Parlement européen et de la société civile dans l’économie des armes, afin de donner «un contrôle parlementaire et démocratique», explique Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements. Afin de lutter contre l’opacité des exportations à l’échelle nationale et européenne, le rapport souligne les efforts nécessaires afin «d’harmoniser les données» publiées par le Conseil de l’Union européenne et censées détailler les contrats et les exportations en matière de vente d’armes.

Alors que les élections du Parlement européen du 6 au 9 juin prochain se profilent, c’est l’occasion pour l’ONG de demander aux «différents candidats de se positionner sur le sujet» aussi sensible stratégiquement que crucial économiquement.