Qu’est-il arrivé à Wehad et Kosai al-Farwan dans la nuit du 13 au 14 juin ? Pourquoi leur bateau a-t-il chaviré ? Quelles ont été leurs dernières pensées ? Les deux jeunes Syriens ont emporté les réponses au fond de la Méditerranée, où ils se sont noyés. Dix jours après le drame, Adham al-Farwan, réfugié syrien en Allemagne, tente de rassembler les pièces du puzzle pour connaître les derniers instants de son neveu, 16 ans, et de son cousin, 19 ans, portés disparus depuis le naufrage meurtrier survenu au large de la Grèce. Le dernier contact avec eux remonte au 9 juin, à deux heures du matin, lorsque les deux jeunes gens, originaires de la ville d’Inkhil, dans la province de Deraa, l’ont averti qu’ils allaient prendre un bateau en direction de l’Italie. Une fois à bord, les téléphones ne sonnaient plus : «Peut-être que les passeurs les ont pris ou leur ont ordonné de les éteindre», suggère Adham, qui restera probablement dans le doute jusqu’à la fin de ses jours.
«Ils voulaient rejoindre l’Allemagne pour que Wehad, sourd et muet, puisse recevoir des soins médicaux adaptés. Mon cousin a voulu l’accompagner pour qu’il ne lui arrive rien. Ils rêvaient aussi d’échapper à la sombre réalité dans laquelle ils vivaient et de créer un avenir meilleur en Europe. Les jeunes de la région, oubliée par le monde, n’ont plus aucun espoir et n’ont pas d’autre choix que d’émigrer pour éviter la misère, l’insécurité, les trafiquants et le risque d’être enrôlé dans l’armée de Bachar al-Assad. Personne ne veut faire de son fils un militaire, car tout le monde sait qu’on ne ramènera que son cadavre.
«Deux jours après le dernier contact, un agent qui communique avec les passeurs libyens a appelé leur famille pour les rassurer, disant que le bateau se trouvait dans les eaux italiennes. Le 16 juin, j’ai été surpris de recevoir un appel de mon beau-frère qui me disait qu’il n’avait pas de nouvelles. Nous avons appris sur Facebook qu’un navire, parti de Libye, et plus précisément de Tobrouk, avait coulé. J’ai essayé de contacter mes amis en Italie, qui m’ont dit que le naufrage avait eu lieu dans les eaux grecques. Je me suis inquiété, car je ne connais personne en Grèce. Impossible de vérifier si nos enfants se trouvaient dans le bateau. Leur nom ne figurait sur aucune liste. Nous étions en contact avec deux ou trois personnes originaires de notre ville en Syrie, parties en Grèce pour aller chercher leurs proches. Elles nous ont dit que le gouvernement grec ne coopérait pas. Nous avons appris que sur les quinze passagers qui venaient de la ville d’Inkhil, seuls trois ont survécu.
Présentation
«Notre voisin a pu demander à un rescapé, via la messagerie WhatsApp, s’il avait vu l’un des habitants de la ville sur le bateau. Il a répondu que tous se trouvaient à l’étage supérieur de l’embarcation. Mais après le remorquage effectué par les autorités grecques, qui a fait chavirer le bateau, tout le monde a disparu. Les autorités grecques nous ont dit que nos enfants ne font partie ni des rescapés ni des victimes. Elles ne savent rien d’eux. Kosai et Wehad font donc partie des 550 personnes noyées.
«Un rescapé avec qui je suis en contact, lui aussi originaire de Deraa, m’a dit que le gouvernement grec menaçait quiconque envisagerait de contacter des médias pour révéler la vérité.»