Main tendu contre poing serré. Contrairement à ce que pourrait suggérer une photo de leur rencontre, le patron de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, et le directeur de l’agence de l’énergie atomique iranienne, Mohammad Eslami, ne jouent pas à pierre-feuille-ciseaux : ils se saluent après avoir conclu in extremis un nouvel accord technique. Lors de sa visite expresse à Téhéran dimanche, Grossi a obtenu que les inspecteurs soient «autorisés à intervenir pour entretenir l’équipement et remplacer les disques durs» des caméras installées dans les sites nucléaires de la République islamique. Et ce afin de poursuivre, cahin-caha, la mission de surveillance du programme iranien incombant à l’agence onusienne.
Outre les limitations sur les niveaux d’enrichissement et les quantités, l’accord de Vienne conclu en 2015 entre Téhéran et les grandes puissances prévoyait en effet des mesures de transparence. Celles-ci sont mises à mal depuis le début de l’année par le pouvoir iranien, qui entendait ainsi protester contre le rétablissement des sanctions par l’administration Trump, en violation des engagements contenus dans l’accord de 2015. Plusieurs solutions intermédiaires ont déjà été trouvées pour éviter «une perte de connaissance» des activités iraniennes par les inspecteurs. Ce «trou noir» est redouté par toutes les parties à l’accord, qui ignoreraient alors ce qui se passe effectivement dans les centres d’enrichissement et autres sites sensibles en Iran.
Problème le plus urgent
Le précédent compromis ayant expiré en juin, l’AIEA avait peur que les capacités d’enregistrement saturent, l’empêchant d’avoir accès, a posteriori en vertu des arrangements précédents, à ces images. «Le problème le plus urgent a été réglé», s’est félicité Grossi à son retour en Autriche. Le temps pressait. Ces derniers jours, les Européens et les Américains ont multiplié les marques d’impatience. Le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a averti mercredi dernier que le «moment où un retour strict au respect [de l’accord sur le nucléaire iranien] ne reproduira pas les avantages de cet accord [se rapprochaient]». Les Occidentaux faisaient planer la menace d’une résolution condamnant l’Iran au conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui se réunit à partir de ce lundi. Une menace fondée notamment sur le dernier rapport de l’agence.
L’agence s’alarmait du manque de coopération des autorités iraniennes, compromettant «fortement» sa capacité à surveiller les installations. Elle donnait également les quantités de matière radioactive produite : environ 10 kg d’uranium enrichi à 60 % (le niveau le plus élevé, proche des 90 % correspondant à un usage militaire), 84,3 kg à 20 %, contre respectivement 2,4 et 62,8 kg en mai dernier. Selon les estimations les plus pessimistes de l’Institute for Science and International Security, une organisation spécialisée dans la non-prolifération qui a publié une nouvelle analyse lundi, il faudrait désormais un mois à l’Iran pour détenir suffisamment de matière pour une bombe. Ce délai, appelé «breakout time», était d’un an après l’entrée en vigueur de l’accord de 2015. La fabrication d’une tête nucléaire nécessite de maîtriser d’autres savoir-faire très techniques, rallongeant considérablement le temps de conception, sous réserve que le pouvoir iranien en prenne le décision, ce dont il s’est toujours défendu.
Dernière chance
Augmentation des stocks, entrave aux processus d’inspection, discussions pour ranimer l’accord de 2015 au point mort : tous les ingrédients étaient réunis pour un retour du dossier nucléaire iranien au rayon des crises internationales. En fin de semaine dernière, Robert Malley, représentant spécial de l’administration Biden sur l’Iran, est allé à Moscou et en Europe pour trouver une issue. C’est lors de ces concertations qu’aurait été défini le modus operandi de la dernière chance, arraché dimanche par Grossi.
La voie étroite vers un retour au compromis de Vienne est donc toujours ouverte. Les discussions du premier semestre progressaient lentement, mais assez sûrement, à en croire les négociateurs occidentaux. Lors de la dernière session, en juin, l’équipe américaine était si persuadée qu’elles allaient se poursuivre qu’un membre avait laissé ses vêtements dans son hôtel, selon une anecdote racontée par le New York Times. Entre-temps, un ultraconservateur, Ebrahim Raissi, a été élu président en Iran, à la place d’Hassan Rohani, architecte de l’accord de 2015. La période de transition n’a permis de faire aucun progrès, et le nouveau chef de la branche élue de l’exécutif ne s’est pas empressé de reprendre le dossier nucléaire, se contentant pour l’heure de dire qu’il souhaitait un allègement des sanctions, avant tout retour en conformité de l’Iran.