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Libération
Ennemis jurés

Nucléaire : Israël maintient la pression sur l’Iran

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Alors que reprennent ce lundi à Vienne les négociations internationales pour tenter de sauver l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, le nouveau gouvernement israélien, bête noire de Téhéran, oscille entre menace militaire et relance diplomatique.
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett, deuxième en partant de la gauche, arrive pour une réunion du cabinet au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le dimanche 28 novembre 2021. (Ronen Zvulun/AP)
par Samuel Forey, correspondant à Jérusalem
publié le 29 novembre 2021 à 8h02

Israël a changé de gouvernement, mais pas de politique, vis-à-vis de Téhéran. «La position est restée la même : l’Iran est une menace, et il faut faire pression d’abord, c’est le seul moyen de les ralentir», affirme le docteur Gil Murciano, directeur de l’institut Mitvim, spécialisé dans la politique étrangère israélienne. Mais au niveau international, la convergence de vues qui existait entre Benyamin Nétanyahou et Donald Trump s’est perdue quand les deux hommes ont quitté successivement le pouvoir. «Les Israéliens ne font pas confiance à l’administration Biden, et se trouvent fragilisés dans leur principal dossier de sécurité. Ils considèrent que les Américains n’ont ni stratégie, ni ligne rouge, alors que de nombreux pays arabes sont en train de renouer avec l’Iran, dont l’Arabie saoudite», décrypte un connaisseur du dossier.

Guerre de basse intensité

Les moyens de pression respectifs des deux pays semblent inopérants. Les sanctions américaines ont rendu l’Iran moins dépendant de l’Occident. Téhéran s’est notamment tourné vers Pékin : les deux capitales ont signé un «accord de coopération stratégique» en mai dernier. Et l’activisme israélien n’a pas eu d’effet décisif : plus d’une décennie de sabotages et d’assassinats ciblés n’a fait que ralentir le programme nucléaire, sans le stopper. Le gouvernement iranien a annoncé en novembre disposer de 25 kilos d’uranium enrichi à 60 %. Pour l’Etat hébreu, son ennemi se transforme en «pays du seuil» : il pourra bientôt, s’il s’en donne les moyens, se doter de l’arme nucléaire à une échéance plus ou moins brève. De quoi mettre Téhéran en position de force, dans les négociations internationales qui reprennent, ce lundi, à Vienne, pour tenter de ranimer l’accord de 2015.

Les deux pays sont engagés dans une guerre de basse intensité, où chaque attaque trouve une réponse plus ou moins symétrique. Mais Israël envisage une approche encore plus agressive, notamment par des frappes aériennes sur les installations nucléaires iraniennes. «L’armée israélienne accélère la planification opérationnelle et les préparatifs pour faire face à l’Iran et à la menace nucléaire militaire», a réaffirmé récemment le chef d’état-major, Aviv Kochavi. Le scénario pourrait convenir à l’actuel Premier ministre, Naftali Bennett. «Il vient de la même école offensive que Benyamin Nétanyahou. Il peut dire : on peut bombarder nous-mêmes, donc négociez un bon traité. Mais comme il est nouveau à ce poste, il est encore difficile de savoir comment il agira. Et il doit composer avec les plus modérés dans sa coalition», explique Raphael BenLevi, docteur en sciences politiques de l’Université d’Haïfa, spécialiste de la politique de défense israélienne.

Attitude tournée vers la diplomatie

«Le gouvernement parle d’une seule voix», a toutefois assuré ce dimanche Naftali Bennett en conseil des ministres. Le message envoyé aux Américains et aux autres pays négociateurs – Chine, Russie, France, Allemagne, Royaume-Uni, ainsi que l’Union européenne – se veut ferme, mais pas agressif : «Israël est très inquiet de la volonté de lever les sanctions et de permettre l’afflux de milliards en Iran en échange de restrictions insuffisantes dans le domaine nucléaire», a indiqué le chef du gouvernement israélien. Sans préciser quelle était sa vision d’une restriction suffisante. Tout en laissant planer la menace militaire, Tel Aviv manie aussi la diplomatie. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, est ainsi attendu lundi à Londres et mardi à Paris, pour des rencontres avec Boris Johnson, Emmanuel Macron et ses homologues britannique et français.

Cette attitude prudente et davantage tournée vers la diplomatie est, en soi, une nouvelle stratégie, en particulier vis-à-vis de Washington : «Le ton a changé. Biden et Bennett se sont mis d’accord pour ne plus étaler les désaccords en public, ne pas s’embarrasser les uns les autres, pour améliorer la coordination entre les deux administrations», ajoute Gil Murciano. En 2015 à Washington, Benyamin Nétanyahou, qui entretenait alors des relations glaciales avec Barack Obama, avait vivement critiqué l’accord avec l’Iran dans un discours très controversé au Congrès, le cœur du pouvoir législatif américain. S’il y a peu de chances que ce coup de force soit renouvelé, le nouveau gouvernement israélien reste, néanmoins, le doigt sur la gâchette.