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Poutine reçoit Bachar Al-Assad à Moscou avant le coup d’envoi des JO

Les chefs d’Etat russe et syrien se sont rencontrés pour paver la voie à une normalisation des relations entre la Turquie et la Syrie, Moscou jouant les médiateurs depuis des mois dans cette affaire.
Le président syrien, Bachar al-Assad, avec son homologue russe, Vladimir Poutine, au Kremlin le 24 juillet 2024. (Valeriy Sharifulin/via REUTERS)
publié le 25 juillet 2024 à 15h52

Se retrouver moins de quarante-huit heures avant la cérémonie d’ouverture des JO à Paris, pour exister malgré tout. Le président russe, Vladimir Poutine, a reçu mercredi 24 juillet au soir à Moscou son homologue syrien, Bachar al-Assad, selon des images diffusées jeudi à la télévision russe et sur le compte Instagram du dictateur syrien, autrement connu sous le nom de «boucher de Damas».

Les deux chefs d’Etat, tous deux sous sanctions de l’Occident, donc dans l’impossibilité de se rendre à Paris où se retrouvera vendredi soir le gratin mondial, ont évoqué lors de cet échange au Kremlin, le premier depuis mars 2023, «l’escalade» de la situation au Proche-Orient, selon les mots du président russe. Mais aussi leurs relations économiques bilatérales, alors que la Russie – qui a sauvé le régime d’Al-Assad en intervenant militairement en Syrie en 2015, en pleine guerre civile – reste un allié crucial.

Une rencontre envisagée à Bagdad

Même si les deux parties n’en ont officiellement pipé mot, la rencontre avait surtout pour objectif de paver la voie à une normalisation des relations entre la Syrie et la Turquie, avant une entrevue qui pourrait être organisée prochainement entre Al-Assad et le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier a déclaré début juillet qu’il pourrait «à tout moment» inviter son homologue syrien, qui se dit de son côté prêt à une rencontre, mais la conditionne à son «contenu». Soutenu par la Russie, mais aussi par l’Irak, le rendez-vous pourrait avoir lieu en août soit en Turquie, soit à Moscou, soit à Bagdad, selon la chaîne d’information Al-Jazeera. Il marquerait un tournant.

Damas et Ankara ont rompu leurs relations officielles au début du conflit syrien, en 2011, quand Erdogan, qui avait pour objectif initial de renverser le président syrien – un «meurtrier» – a accueilli sur son territoire l’opposition politique syrienne et engagé un soutien aux rebelles armés. Une première réunion officielle destinée à sceller la réconciliation avait eu lieu en décembre 2022 en Russie, entre leurs ministres de la Défense respectifs, alors que leurs chefs des services de renseignement avaient déjà discrètement pris contact.

Hostilité envers les exilés syriens

Reprendre langue avec Damas permettrait à Erdogan non seulement d’envisager le retour à grande échelle des quelque 3,2 millions de réfugiés syriens dans leur pays, alors que la situation est depuis plusieurs semaines explosive en Turquie et que l’hostilité envers les exilés ne cesse de s’exacerber. Mais aussi de stabiliser la situation dans le nord de la Syrie.

Ankara y a mené depuis 2016 plusieurs offensives, principalement contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes et soutenues par les Etats-Unis, qui lui ont permis de contrôler, avec ses affidés syriens, des zones frontalières côté syrien. «L’essence du problème», a déclaré le 15 juillet Bachar al-Assad, pour qui «le retrait» des troupes turques «du territoire syrien» constitue un préalable.

Un tel retrait impliquerait néanmoins qu’Erdogan ait l’assurance que les FDS soient neutralisées, lui qui considère leur principale composante, les YPG ou Unités de protection du peuple, comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, turc), qualifié d’«organisation terroriste» par la Turquie et ses alliés occidentaux. Gages qu’Al-Assad n’est pas prêt à lui donner sans conditions. «Le mythe selon lequel le régime d’Al-Assad peut répondre à deux des principales demandes turques, à savoir le retour des réfugiés et l’éradication des YPG, a fait son chemin», soulignait Omer Ozkizilcik, membre non résident de l’Atlantic Council, dans une note publiée en janvier 2023.

L’inimitié entre les dirigeants turc et syrien

Le chercheur rappelait également qu’«une photo d’Erdogan et d’Assad aurait un impact considérable sur l’opposition syrienne, qui dépend du soutien politique turc, alors que le soutien et l’intérêt internationaux ont diminué au fil des ans.» Une analyse toujours d’actualité, avec une délégation syrienne de vingt personnes, dont six athlètes, qui s’apprête à défiler vendredi soir lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris. Une opération permettant à Al-Assad de «polir son image et se laver de ses crimes», selon les mots de Ranim Ahmed, une des responsables de l’ONG Syria Campaign. Leur présence à Paris ulcère les activistes syriens, après celle du Premier ministre syrien, Hussein Arnous, à la COP28 de Dubaï, en novembre 2023.

Un dernier paramètre pourrait toutefois faire échouer tous les efforts que déploie Vladimir Poutine, avide de montrer son influence dans le jeu moyen-oriental, pour sceller cette normalisation : l’inimitié que se vouent les dirigeants turc et syrien. «Dans ce processus, il faut deux danseurs de tango, rappelle à l’AFP Aaron Stein, directeur du Foreign Policy Research Institute à Washington. Et le partenaire de danse [d’Erdogan] est un meurtrier qui le déteste.»