Même une prison iranienne ne saurait la faire taire. La militante iranienne Narges Mohammadi, incarcérée dans la funeste prison d’Evin de Téhéran, a fustigé le «régime religieux tyrannique et misogyne» en Iran. Elle s’est exprimée par la voix de ses enfants qui ont reçu pour elle le prix Nobel de la paix ce dimanche 10 décembre à Oslo, en Norvège. Elle devait par ailleurs entamer une grève de la faim ce même jour.
«Je suis une femme iranienne qui est fière et honorée de contribuer à cette civilisation, elle qui est aujourd’hui victime de l’oppression d’un régime religieux tyrannique et misogyne», a affirmé la militante, exhortant la communauté internationale à en faire plus pour les droits humains. «Je suis une femme du Moyen-Orient, issue d’une région qui, bien qu’héritière d’une riche civilisation, est actuellement prise au piège de la guerre et la proie des flammes du terrorisme et de l’extrémisme», a-t-elle dit, dans ce message écrit «derrière les hauts murs froids d’une prison». Ce sont ses jumeaux de 17 ans, Ali et Kiana, exilés en France depuis 2015, qui, tout de noir vêtu, ont lu en français le discours qu’elle a réussi à transmettre depuis sa cellule. En son absence, un fauteuil est resté symboliquement vide, surmonté de son portrait, lors de la cérémonie à l’Hôtel de ville d’Oslo.
«Femme, Vie, Liberté»
Farouche adversaire du port obligatoire du hijab pour les femmes et de la peine de mort en Iran, Narges Mohammadi est emprisonnée depuis 2021. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en octobre pour «son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous». La militante a été maintes fois arrêtée et condamnée ces dernières décennies. Elle est aussi l’un des principaux visages du soulèvement «Femme, Vie, Liberté» en Iran. Un mouvement qui a vu des femmes tomber le voile, se couper les cheveux et manifester dans la rue, après la mort l’an dernier d’une jeune Kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, arrêtée à Téhéran pour non-respect du strict code vestimentaire islamique.
«Le hijab obligatoire imposé par le gouvernement n’est ni une obligation religieuse ni un modèle culturel, mais plutôt un moyen de contrôle et de soumission de toute la société», a répété Narges Mohammadi ce dimanche, qualifiant de «honte gouvernementale» l’obligation faite aux Iraniennes de le porter. Dans le discours lu devant la famille royale norvégienne, la militante a dépeint une République islamique «essentiellement étrangère à son peuple», dénonçant notamment la répression, la mise au pas du système judiciaire, la propagande et la censure, le népotisme et la corruption.
Témoignage exceptionnel
Pour Narges Mohammadi, ce dimanche est doublement symbolique puisque ce jour marque aussi la reprise de sa grève de la faim. Ce sont son frère et son époux qui ont annoncé son choix, lors d’une conférence de presse dans la capitale norvégienne samedi. Elle explique vouloir cesser de s’alimenter «en solidarité avec la minorité religieuse» Bahaïe, dont deux figures dirigeantes observent elles aussi une grève de la faim. «Elle a dit ‘je vais commencer ma grève de la faim le jour où le prix m’est accordé et peut-être que le monde en entendra plus parler’», a expliqué l’époux de la militante de 51 ans, Taghi Rahmani. Plus importante minorité religieuse en Iran, la communauté Bahaïe y est la cible de discriminations dans de nombreux pans de la société, estiment ses représentants. De santé fragile, Narges Mohammadi avait déjà observé une grève de la faim de quelques jours début novembre pour obtenir le droit d’être transférée à l’hôpital sans se couvrir la tête.
Dans l’histoire plus que centenaire du Nobel, Narges Mohammadi est la cinquième lauréate à recevoir le prix de la paix alors qu’elle est en détention après l’Allemand Carl von Ossietzky, la Birmane Aung San Suu Kyi, le Chinois Liu Xiaobo et le Bélarusse Ales Beliatski. «La lutte de Narges Mohammadi peut être comparée […] à celle d’Albert Lutuli, Desmond Tutu et Nelson Mandela [qui ont tous aussi reçu le Nobel, ndlr], celle-ci ayant duré plus de 30 ans avant la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud», a souligné la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen. «Les femmes en Iran luttent contre la ségrégation depuis plus de 30 ans. Leur rêve d’un avenir plus lumineux finira par devenir réalité», a-t-elle affirmé.
«Le peuple iranien viendra à bout de la répression»
Pour leur part, les jumeaux de Narges Mohammadi, séparés de leur mère depuis plus de huit ans, disent ignorer s’ils la reverront un jour en vie. «Personnellement, je suis assez pessimiste», a confié sa fille Kiana samedi, tandis que son frère Ali se disait au contraire «très, très optimiste».
La contestation en Iran a été sévèrement réprimée. Selon l’ONG Iran Human Rights, 551 manifestants, y compris des dizaines de femmes et d’enfants, ont été tués par les forces de sécurité, et des milliers d’autres arrêtés. Par ailleurs, selon leur avocate en France, la famille de Mahsa Amini a été empêchée de quitter le territoire iranien pour recevoir, ce dimanche lors d’une cérémonie parallèle en France, le prix Sakharov décerné à la jeune femme à titre posthume. «Le peuple iranien, avec persévérance, viendra à bout de la répression et de l’autoritarisme, a assuré Narges Mohammadi. N’en doutez pas, cela est certain.»
Les Nobel dans les autres disciplines (littérature, chimie, médecine, physique, économie) doivent être également remis dans la journée à Stockholm.