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Témoignages

Proches de Gazaouis pris au piège : «On doit continuer à agir tant qu’ils sont encore en vie»

«Libération» a recueilli, via leur famille ou leurs collègues, les témoignages de personnes bloquées dans la bande de Gaza, soumise à un siège total depuis sept jours, après l’attaque massive du Hamas contre Israël, le 7 octobre.
Dans le sud de la bande de Gaza, le 17 octobre. (Mohammed Abed /AFP)
par Léa Masseguin et Veronica Gennari
publié le 17 octobre 2023 à 19h13

«Ils sont très affaiblis, physiquement et psychologiquement»

Les heures sont comptées. Josselin et sa femme Tamam vivent dans l’angoisse depuis que Gaza est prise sous le déluge de bombes de l’armée israélienne. Les parents, le frère et les neveux de Tamam, une Gazaouie de 30 ans, sont actuellement bloqués dans l’enclave palestinienne soumise à un siège total par Tel-Aviv, sans eau, sans nourriture et sans électricité. Depuis Bruxelles, le couple raconte «l’enfer» dans lequel vit leur famille depuis le 7 octobre. Et appelle la France à mettre en place un corridor humanitaire et à tout faire pour qu’un cessez-le-feu soit instauré.

«On arrive à les contacter de manière très sporadique, car les connexions Internet ont été coupées. On les a eus au téléphone une minute ce mardi matin, et puis plus rien. Ma belle-famille – les parents de ma femme, son frère et son épouse, ainsi que leurs deux enfants de 5 ans et 1 mois et demi – a dû abandonner sa maison dans le nord de la bande de Gaza pour se réfugier à Nuseirat, dans la partie centrale de l’enclave. Ils vivent dans l’appartement d’un oncle, où sont entassées une vingtaine de personnes. Tout le monde vit dans la peur. Leur situation est dramatique. Au-delà des bombardements incessants, qui sont déjà une horreur absolue, ils sont au bord de la catastrophe humanitaire. L’eau commence à manquer. Les rares bouteilles d’eau potable sont terminées depuis longtemps. Il n’y a plus d’électricité. Ils sont très affaiblis, à la fois physiquement et psychologiquement. A cause de l’absence de connexion internet, ils sont sans nouvelles de leurs proches, et n’ont aucune information sur ce qu’il se passe. Ils se sentent très isolés, ce qui aggrave leur état. Ils ne savent pas où aller, ni s’ils doivent se rendre au poste-frontière de Rafah car les frappes israéliennes s’abattent aussi dans le sud de la bande de Gaza.

«Nous avons mis notre vie entre parenthèses pour faire tout notre possible pour alerter les autorités françaises. Nous avons également lancé une pétition pour sauver notre famille à Gaza. En tant que citoyen français, je ressens une très grande déception, une grande colère face au silence de Paris. Nous savons que la situation est très complexe, mais il s’agit là de notre famille qui est en danger de mort nous avons besoin de comprendre. Pourquoi la France s’est-elle opposée à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui appelait au cessez-le-feu à Gaza ? Nous pensons à tous les Gazaouis qui vivent depuis 2007 dans la plus grande prison à ciel ouvert. Nous devons continuer à agir tant qu’ils sont encore en vie.»

«Des crimes de guerre sont commis dans le silence absolu»

La présidente de l’ONG italienne Gazzella, Francesca Pettini, est sans nouvelles depuis deux jours d’une de ses bénévoles, Giuditta, 65 ans, qui supervisait les opérations à Gaza depuis environ un mois. «Le téléphone n’est pas actif. On ne sait pas s’il n’a plus de batterie ou si c’est à cause des coupures de connexion Internet», explique-t-elle au téléphone, très inquiète. Pour alerter sur la situation dans l’enclave et appeler le gouvernement italien à sortir de son «inaction», elle nous a transmis le dernier message vocal envoyé le 15 octobre par Giuditta depuis Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, où elle a été évacuée.

«Je parviens à avoir une connexion Internet si je reste toujours au même endroit, parce qu’ils [les Israéliens] ont coupé toutes les communications. Nous sommes arrivés à Khan Younès dans le camp de l’UNRWA [l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine], où il y a déjà plus de 10 000 personnes déplacées du nord de Gaza. C’est une catastrophe. Le gouvernement italien ne se préoccupe absolument pas de la création d’un couloir humanitaire pour les Palestiniens et pour les internationaux. C’est une honte. Ça signifie que l’Italie soutient Israël, qui aurait d’ailleurs répondu à notre consul en disant que la guerre, c’est la guerre. Ce sont des choses horribles qu’il faut dénoncer. On ne peut pas cautionner que de tels crimes soient commis sans que personne n’en parle.

«Je ne veux pas faire d’intervention politique, mais on voit des gens ici qui arrivent avec des enfants, des personnes âgées ou en situation de handicap, avec des matelas sur le dos, et qui doivent dormir dans la rue. Nous dormons à même le sol depuis deux jours. Et notre gouvernement nous ignore alors qu’il a réussi à évacuer des touristes et pèlerins [italiens] de Jérusalem avec des avions militaires. Un couloir sécurisé doit être mis en place pour toutes les personnes qui doivent se déplacer. Les médicaments, la nourriture et l’eau doivent être autorisés à entrer dans la bande de Gaza. Il n’y a plus d’eau. Et des maladies commencent à se propager dans les camps, sous 30°C, ce qui est très dangereux. Bref, c’est le message que je veux transmettre : des crimes de guerre sont commis dans le silence absolu.»