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Libération
Guerre Hamas-Israël

Qu’est-ce que le «corridor de Philadelphie», la zone stratégique à la frontière entre Gaza et l’Egypte, et dont Israël a pris le contrôle ?

Gaza, l'engrenagedossier
L’armée israélienne a annoncé avoir pris le contrôle ce mercredi 29 mai du couloir de Philadelphie, une zone tampon de 14 kilomètres de long qui borde la frontière égyptienne le long du sud de la bande de Gaza. Une étroite bande de terre avec de forts enjeux tactiques.
Des Palestiniens déplacés marchent le long du corridor de Philadelphie, ou corridor de Saladin, une étroite zone tampon le long de la frontière de la bande de Gaza avec l'Égypte, à l'ouest de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 janvier 2024. (Mahmud Hams /AFP)
publié le 30 mai 2024 à 19h10

C’est un étroit bout de terre de 14 km de long et de 100 mètres de large, dont le contrôle s’avère capital dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas. L’armée israélienne a annoncé ce mercredi 29 mai avoir pris le contrôle du «couloir de Philadelphie», cette zone tampon située entre le sud de la bande de Gaza et l’Egypte. Tsahal a affirmé avoir découvert «une vingtaine de tunnels» dans ce secteur frontalier, qu’elle soupçonne de servir à la contrebande pour les groupes armés dans le territoire palestinien. L’armée a ainsi disposé ses hommes sur l’essentiel de la parcelle. De son côté, l’Egypte a démenti l’existence de tunnels sous la frontière, affirmant qu’Israël cherchait ainsi à justifier son offensive à Rafah contre le mouvement islamiste palestinien. Alors que cette route était sous contrôle de l’Égypte depuis 2005, cette prise israélienne – unique frontière qui échappait encore au contrôle de l’État hébreu – semble marquer nouvelle étape dans la guerre. Libé fait le point.

Qu’est-ce que cette zone tampon ?

Le couloir de Philadelphie, également appelé «corridor de Philadelphie» ou «corridor de Saladin», se situe à l’intérieur de la bande de Gaza, au sud, et borde la frontière égyptienne. Historiquement, comme le rappelle le quotidien libanais L’Orient-Le jour, cette zone tampon a vu le jour après les accords de camp David de 1979, qui scellent des accords de paix entre Israël et l’Égypte, mettant alors fin à plus de 30 ans de conflit entre les deux pays rivaux. Dans le cadre de ces accords négociés sous la médiation des États-Unis, les Egyptiens reprennent la main sur la région du Sinaï – péninsule située entre la Méditerranée et la mer Rouge – tandis que les Israéliens prennent le contrôle du territoire situé le long de la frontière avec la bande de Gaza. L’objectif de l’Etat hébreu : empêcher la circulation d’armes et de matériaux entre l’enclave palestinienne et Le Caire, et contrôler strictement le mouvement des Palestiniens via le poste-frontière de Rafah, précise L’Orient-Le-Jour. Clôtures et fils barbelés sortent alors de terre le long de la zone tampon.

Pourquoi Tel Aviv se désengage du corridor de Philadelphie en 2005 ?

«Le contrôle de Tel Aviv sur cette zone cesse en 2005, lorsque Israël prend la décision de se désengager de l’enclave palestinienne», explique à Libération Henry Laurens, historien spécialiste du Moyen-Orient. Le contrôle du corridor côté égyptien passe alors aux mains du Caire, tandis que l’autorité palestinienne contrôle l’autre côté de la bande de terre jusqu’en 2007, année au cours de laquelle le Hamas s’empare par la force de la totalité du pouvoir à Gaza. Par ailleurs, via l’accord dit «de Philadelphie» – qui donnera son nom au corridor et qui serait lié au nom de code utilisé par l’armée israélienne pour désigner cette zone frontalière selon franceinfo – l’Egypte s’engage à lutter contre le trafic d’armes et le terrorisme à sa frontière, tout en échangeant des renseignements en permanence avec les Israéliens, détaille Henry Laurens. «Pour l’Egypte, le corridor est une ligne de protection avancée de son territoire», précise-t-il. Lorsque Israël quitte les lieux, l’Egypte crée une force de 750 gardes-frontières dédiée à la surveillance de la frontière.

Pourquoi le contrôle de cette zone est-il redevenu un enjeu clé pour Israël dans le cadre de la guerre ?

Depuis le 7 octobre et le début de la guerre entre le Hamas et Israël, les 14 km de long de la zone tampon sont redevenus hautement stratégiques. «Le corridor de Philadelphie doit être entre nos mains et sous notre contrôle, et tout arrangement autre que celui-là ne sera pas accepté par Israël», affirme ainsi Benyamin Nétanyahou dans une conférence de presse le 30 décembre 2023. Selon Israël, le couloir de Philadelphie sert «de tuyau d’oxygène au Hamas, par lequel il fait transiter régulièrement des armes vers la bande de Gaza», argumente aussi le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, ce mercredi 29 mai. L’étroite zone ferait selon l’armée intégralement partie du «métro de Gaza», des kilomètres de tunnels utilisés par le Hamas pour se déplacer et s’entraîner.

«D’un côté, les Égyptiens affirment avoir détruit tous ces réseaux souterrains ces dernières années, à la fois en détruisant la partie égyptienne de Rafah et en inondant les tunnels avec de l’eau de mer. Mais d’un autre côté, les Israéliens affirment que ces tunnels sont toujours en activité et utilisés par le Hamas», explique Henry Laurens. Et c’est au nom de cet argument concernant des négligences égyptiennes de surveillance qu’Israël a récemment intensifié la pression sur le bout de terre, afin de parachever son encerclement total de Gaza. Ce mercredi 30 mai, Tel Aviv a finalement atteint son objectif et a annoncé avoir pris le contrôle du couloir de Philadelphie. L’armée a annoncé avoir «découvert une infrastructure terroriste souterraine sophistiquée à l’est de Rafah d’une longueur d’un kilomètre et demi à une centaine de mètres du passage» entre l’Egypte et la bande de Gaza. Ce poste-frontière, seul point de passage entre la bande de Gaza et l’Egypte, vital pour l’acheminement de l’aide humanitaire, est fermé depuis que l’armée israélienne en a pris le contrôle au début du mois de mai.

Quelle a été la réaction du Caire ?

L’Égypte, à la suite de ces annonces, a tout de suite démenti les accusations israéliennes. «Israël utilise ces allégations pour justifier la poursuite de l’opération sur la ville palestinienne de Rafah et prolonger la guerre à des fins politiques», explique une source égyptienne haut placée, dans un média égyptien. «L’Egypte refuse catégoriquement qu’Israël reprenne possession du corridor. Une ligne rouge a été dépassée selon l’armée égyptienne, qui exige maintenant, et au plus vite, le départ de l’armée israélienne», réagit l’historien Henry Laurens auprès de Libération. Au-delà de la question du contrôle de la bande de terre, Le Caire redoute aussi «une escalade des tensions entre soldats égyptiens et israéliens à la frontière», comme cela s’est déroulé il y a quelques jours, mais aussi un exode de Gazaouis sur son territoire.