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Géostratégie

Saisie par l’Iran d’un navire «lié» à Israël : pourquoi le détroit d’Ormuz est au centre des tensions

La zone du Golfe où les soldats iraniens ont arraisonné ce samedi 13 avril un porte-conteneurs qu’ils accusaient d’être «lié» à l’Etat hébreu est, de longue date, aussi stratégique qu’instable.
Un navire dans le détroit d'Ormuz le 18 janvier 2012. (Kamran Jebreili/AP)
publié le 13 avril 2024 à 18h48

Le détroit d’Ormuz, où l’Iran a saisi ce samedi 13 avril un navire en l’accusant d’être «lié» à Israël, est un point de crispation depuis de longues années. Séparant le golfe d’Oman du golfe d’Aden, cette fine bande d’eau constitue un point de passage stratégique pour le commerce mondial de pétrole, que Téhéran considère comme son pré carré mais où les Etats-Unis maintiennent une solide présence militaire.

Il ne doit pas être confondu avec la mer Rouge ainsi que le golfe d’Aden, de l’autre côté de la péninsule arabique, où les rebelles yéménites Houthis ont récemment mené des dizaines d’attaques contre des navires marchands, en solidarité avec les Palestiniens.

Porte d’entrée du Golfe

Le détroit d’Ormuz, qui relie le Golfe au golfe d’Oman, est situé entre l’Iran et le sultanat d’Oman. Il est particulièrement vulnérable en raison de sa faible largeur, 50 kilomètres environ, et de sa profondeur, qui n’excède pas 60 mètres.

Il est parsemé d’îles désertiques ou peu habitées, mais d’une grande importance stratégique : les îles iraniennes d’Ormuz, et celles de Qeshm et de Larak, face à la rive iranienne de Bandar Abbas.

La rive omanaise, la péninsule du Musandam, forme un index pointant vers l’Iran, séparé du reste du sultanat par des terres appartenant aux Emirats.

Au large des Emirats, les trois «îles stratégiques» - la Grande Tomb, la Petite Tomb et Abou Moussa - constituent un poste d’observation sur toutes les côtes des pays du Golfe : Emirats, Qatar, Bahreïn, Arabie saoudite, Koweït, Irak, Iran et Oman. Elles sont occupées par l’Iran depuis 1971, après le départ des forces britanniques de la région.

Crucial pour le pétrole

Le détroit d’Ormuz constitue de loin la principale la voie de navigation connectant les riches pays pétroliers du Moyen-Orient avec les marchés asiatiques, européens et nord-américains.

En 2022, environ 21 millions de barils de brut y circulaient quotidiennement, selon l’Agence américaine de l’Energie (EIA). Cela représentait environ 20 % de la consommation mondiale de pétrole liquide. Une perturbation même temporaire de la navigation dans ce détroit peut faire grimper les prix mondiaux de l’énergie.

Seuls l’Arabie saoudite et les Emirats disposent d’un réseau d’oléoducs leur permettant de contourner le détroit d’Ormuz, souligne l’EIA.

Tensions

L’Iran, qui se considère comme le gardien du Golfe, dénonce régulièrement la présence de forces étrangères, notamment la 5e Flotte américaine stationnée à Bahreïn. Téhéran a menacé à plusieurs reprises de bloquer le détroit d’Ormuz en cas d’action militaire des Etats-Unis dans la zone. Ce sont les Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, qui contrôlent les opérations navales dans le Golfe, et sont chargés d’assurer la sécurité du détroit.

Une des perturbations majeures du transport pétrolier remonte à 1984, en plein conflit Iran-Irak (1980-1988), durant la «guerre des pétroliers». Plus de 500 navires avaient été détruits ou endommagés.

En juillet 1988, un Airbus A-300 d’Iran Air, assurant la liaison entre Bandar-Abbas et Dubaï, avait été abattu par deux missiles d’une frégate américaine patrouillant dans le détroit : 290 personnes ont été tuées. L’équipage de l’USS Vincennes avait affirmé avoir pris l’Airbus pour un chasseur iranien animé d’intentions hostiles.

Multiplication des incidents

Les incidents se sont multipliés dans cette zone maritime depuis qu’en 2018, les Etats-Unis se sont retirés de l’accord international visant à geler le programme nucléaire iranien et ont réimposé des sanctions à la République islamique.

En 2019, des attaques mystérieuses contre des navires dans la région du Golfe, un drone abattu et des pétroliers saisis, avaient fait craindre une escalade entre Téhéran et Washington.

Le 29 juillet 2021, une attaque en mer d’Oman contre un pétrolier géré par la société d’un milliardaire israélien a fait deux morts, britannique et roumain. Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Roumanie ont accusé Téhéran, qui a démenti toute implication.

Les Etats-Unis montrent les muscles

En août 2023, les Etats-Unis ont déployé plus de 3 000 soldats en mer Rouge pour dissuader l’Iran de s’emparer de pétroliers, tandis que des marines occidentales avaient déconseillé aux navires transitant par le détroit d’Ormuz de s’approcher des eaux iraniennes afin d’éviter tout risque de saisie.

L’armée américaine affirmait alors que l’Iran a saisi ou tenté de s’emparer de près de 20 navires battant pavillon international dans la région au cours des deux dernières années.

En décembre, Washington a annoncé la formation en mer Rouge d’une coalition de dix pays afin de faire face aux attaques répétées des Houthis contre des navires qu’ils considèrent comme «liés à Israël».