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Libération
Flottement

Syrie : affaibli et isolé, le régime hésite à réprimer la contestation

Longtemps fidèle à Bachar al-Assad, la minorité druze s’est retournée contre lui. Pris au piège de l’image de «protecteur des minorités» qu’il s’est donné et privé de soutien économique, l’autocrate n’ose pas faire usage de la force.
Une manifestation hostile au régime syrien à Soueïda, le 22 septembre. (Suwayda 24/via Reuters)
publié le 22 septembre 2023 à 18h36

Les révolutions se lisent aussi dans leurs slogans. Depuis la mi-août, plus de douze ans après le soulèvement de 2011, les manifestations contre le régime de Bachar al-Assad s’enchaînent à Soueïda, fief de la minorité druze. Chaque vendredi, parfois même d’autres jours de la semaine, des habitants de la ville et des villages alentour se retrouvent sur la place centrale, rebaptisée «De la dignité» pour l’occasion. Ils scandent, entre autres : «Longue vie à la Syrie et à bas Bachar al-Assad», «Bachar, je te défie», «Assad doit partir pour que la Syrie vive». Pas identiques, mais pas éloignés non plus du «Bachar, dégage !» de 2011.

Est-ce à dire que la Syrie s’apprête à vivre une nouvelle révolution ? Les manifestations n’ont, pour l’instant en tout cas, pas du tout la même ampleur. Elles se cantonnent à Soueïda, même si quelques rassemblements se sont aussi formés à Deraa, ville du Sud d’où était parti le soulèvement de 2011, et dans des villages proches de Lattaquié, région à majorité alaouite, confession de Bachar al-Assad. «Cela tient à l’épuisement de la population, à la peur du régime et à la souffrance économique. Il est vrai que celle-ci peut pousser à la révolte, mais elle force aussi les Syriens à continuer à chercher sans cesse des moyens de survie», explique Ziad Majed, politiste et professeur à l’Université américaine de Paris.

«Moment politique de contre-révolution»

Les Syriens ne peuvent pas non plus s’appuyer sur l’élan de 2011, où les révolutions s’étaient déclenchées quasi simultanément en Tunisie, en Egypte, au Yémen ou en Libye. La révolte syrienne s’était, elle, muée en guerre civile, phagocytée par des groupes jihadistes et écrasée par une répression sauvage. «Le moment politique régional s’inscrit à l’inverse dans la contre-révolution, avec le retour de l’autoritarisme et son discours triomphant qui se résume à : Seuls la stabilité et le développement économique sont importants, le reste ne compte plus», développe Ziad Majed.

Les manifestations de Soueïda sont d’autant plus surprenantes que la région et ses habitants druzes, qui représentent 3 % de la population syrienne, s’étaient tenus à l’écart de la révolution de 2011. Plusieurs chefs religieux druzes se posaient même en soutien du régime, sans que cela empêche des activistes de soutenir les rassemblements protestataires dans les régions sunnites et les jeunes de refuser d’être enrôlés dans l’armée. Mais cette fois, leur leader spirituel et porte-parole de la communauté, le cheikh Hikmat al-Hijri, a ouvertement pris parti pour les protestataires et contre le régime et ses soutiens, l’Iran en premier lieu, accusé d’«occuper» le pays.

Réintégration imparfaite à la Ligue arabe

Les premières manifestations et attaques contre des bâtiments du parti Baas ont éclaté après l’annonce par le régime d’une augmentation de 200 % du prix de l’essence, avant de s’en prendre ouvertement au responsable de la crise économique, à savoir Bachar al-Assad. Celui-ci ne les a, pour l’instant, pas réprimées. Une éventuelle répression irait à l’encontre de l’image de «protecteur des minorités», qu’il a tenté de se forger. Elle risquerait aussi de réduire encore un peu plus l’éventualité de financements étrangers qu’il recherche en vain depuis la fin de la guerre.

Bachar al-Assad est aujourd’hui acculé. L’économie du pays est ravagée, la livre syrienne n’en finit plus de s’effondrer et la première source de revenus est désormais le captagon, une drogue de synthèse qui gagne le Moyen-Orient. La Syrie a, certes, été réintégrée à la Ligue arabe en mai dernier après en avoir été exclue en 2011, mais l’Arabie Saoudite, particulièrement courtisée par Assad, refuse d’investir dans le pays tant que l’engagement de lutter contre le trafic de captagon ne sera pas tenu. La Syrie ne tient pas non plus celui de rapatrier des réfugiés, une demande insistante du Liban voisin. «Il est impossible de savoir si le soulèvement initié à Soueïda avec un incroyable courage va se propager, explique Ziad Majed. Mais il ne faut pas oublier qu’en 2019 et 2020, il y a eu des protestations massives au Soudan, en Algérie, en Libye et en Irak. Nous sommes peut-être au début d’une nouvelle vague en Syrie.»