Afra al-Ahmed est laveuse de morts. Ses doigts fins ont caressé des peaux brûlées, des chairs exsangues et des os brisés. Ses yeux noisette ont vu des visages figés dans un dernier cri d’agonie. C’est sa mission depuis près de vingt ans : purifier les corps en administrant les dernières ablutions avant l’enterrement, telles que dictées par la tradition musulmane. «J’ai lavé tant de morts dans ma vie, mais avec la guerre, c’est devenu de plus en plus difficile», souligne cette quinquagénaire, habillée d’un sourire las et d’une robe en velours couleur cuivre. «A chaque bombardement, environ 15, 20 ou 30 personnes, jeunes et vieux, mouraient. Les écoles et les maisons ont été détruites, des gens ont été torturés, certains ont été enterrés sans être lavés, d’autres ont été inhumés en morceaux», énumère-t-elle.
Tandis qu’elle raconte, agenouillée dans son salon, son petit-fils vient se loger contre sa poitrine. «On le surnomme Trump à cause de ses cheveux blonds», précise Afra avec un petit rire. Deviendra-t-il lui aussi laveur de morts ? Elle l’espère. Lui ou un autre descendant, car donner les derniers rites est une fierté familiale. La mère d’Afra était déjà laveuse de morts. Le jour venu, la fille a nettoyé le corps de la mère et la passation de flambeau fut alors achevée. Une vie d’eau, de sang et de lin. Et dix ans de guerre n’ont pas édenté sa détermination à offrir aux martyrs un dernier signe de respect – ni celle de son mari Aboud, lui aussi laveur d