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Combats

Les tueries de civils en Syrie «doivent cesser immédiatement» alerte l’ONU

L’Observatoire syrien des droits de l’homme a fait état ce dimanche 9 mars de la mort de plusieurs centaines de civils alaouites depuis une semaine, en marge d’affrontements entre les forces de sécurité syriennes et des fidèles du président déchu Bachar al-Assad.
Un convoi militaire en direction de Lataquié, le 7 mars. (Mahmoud Hassano/Reuters)
publié le 8 mars 2025 à 14h04
(mis à jour le 9 mars 2025 à 17h47)

Les tueries de civils en Syrie «doivent cesser immédiatement», a déclaré dimanche Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme dans un communiqué. Selon le même communiqué, les Nations unies reçoivent des rapports «extrêmement inquiétants» faisant état de familles entières tuées dans le nord-ouest de la Syrie depuis jeudi. Dans le même temps, Washington a appelé les autorités syriennes à poursuivre «les auteurs des attaques».

Un peu plus tôt dans la journée, le dirigeant syrien Ahmad al-Chareh a ordonné une enquête sur les «exactions» ayant visé des civils dans l’ouest du pays, une flambée de violences sans précédent depuis la chute de Bachar al-Assad, qui soulève l’indignation internationale. Le président par interim a également appelé à l’unité nationale et à la paix civile dans le pays. Quelques heures plus tard, il a promis dans une vidéo publiée par l’agence de presse officielle syrienne Sana que son gouvernement demanderait «des comptes, fermement et sans indulgence, à toute personne impliquée dans l’effusion de sang des civils (...) ou qui a outrepassé les pouvoirs de l’État», ajoutant qu’un comité serait formé pour «protéger la paix civile».

Les violences ont été déclenchées par une attaque sanglante jeudi de partisans de Bachar al-Assad contre les forces de sécurité à Jablé, près de Lattaquié dans l’ouest du pays, ex-bastion du pouvoir déchu et berceau de la communauté musulmane alaouite dont est issu le clan Assad.

Au moins 830 civils alaouites tués

D’après l’Observatoire des droits de l’homme (OSDH), qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie, «830 civils alaouites ont été tués dans les régions de la côte et les montagnes de Lattaquié par les forces de sécurité et des groupes affiliés» depuis jeudi. La communauté alaouite est une branche de l’islam chiite. Cela porte le bilan des violences à plus de 1 311 morts, dont 481 membres des forces de sécurité et des combattants loyaux au clan Assad, selon la même source.

Ces violences sont les premières de cette ampleur depuis la prise de pouvoir le 8 décembre d’une coalition rebelle emmenée par le groupe islamiste radical sunnite Hayat Tahrir al-Sham, HTS. Elles ont éclaté jeudi après plusieurs jours de tensions dans la région de Lattaquié, un bastion de la minorité musulmane alaouite, dont est issu le clan Assad.

Selon un précédent recensement de l’OSDH, au moins 532 civils alaouites, dont des enfants, avaient été «tués par les forces de sécurité et des groupes alliés» dans la zone côtière du pays et les montagnes près de Lattaquié. L’ONG, basée au Royaume-Uni et disposant d’un vaste réseau de sources en Syrie, pointe des «exécutions sur des bases confessionnelles ou régionales» assorties «de pillages de maisons et de biens». Ce recensement faisait alors un bilan à au moins 745 morts, dont 93 membres des forces de sécurité et de groupes alliés et 120 combattants fidèles du président déchu, selon la même source.

«Retour au calme relatif»

L’ODSH avait signalé samedi un «retour au calme relatif» dans la région, tout en précisant que les forces de sécurité poursuivaient leur «ratissage dans les zones où se retranchent les hommes armés», avec l’envoi de renforts.

Tôt samedi, l’agence de presse officielle syrienne Sana avait rapporté que les forces de sécurité avaient repoussé «une attaque menée par les résidus du régime déchu» visant l’hôpital national dans la ville de Lattaquié. Après plus de treize ans de guerre civile, le rétablissement de la sécurité est le principal défi pour le nouveau pouvoir syrien.

Le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, a appelé vendredi soir les insurgés alaouites à «déposer les armes avant qu’il ne soit trop tard». «Nous continuerons à œuvrer au monopole des armes entre les mains de l’Etat», a-t-il ajouté dans un discours. L’escalade s’est enclenchée après une attaque sanglante de fidèles de Bachar al-Assad contre des forces de sécurité dans la ville côtière de Jablé dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les autorités. Les forces de sécurité ont envoyé le lendemain des renforts et lancé d’importantes opérations de ratissage dans la région.

Des témoignages sur des exactions contre les civils alaouites, que l’AFP n’a pas été en mesure de vérifier indépendamment, se multiplient sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook, émanant de proches ou d’amis des victimes. Une militante a écrit que sa mère et ses frères et sœurs avaient été «tous massacrés dans leur maison», tandis que des habitants de Banyas dans la province de Tartous plus au sud ont lancé des appels urgents à une intervention pour les protéger.

L’OSDH et des militants ont publié vendredi des vidéos montrant des dizaines de corps en vêtements civils empilés dans la cour d’une maison, des femmes pleurant à proximité. Dans une autre séquence, des hommes en tenue militaire ordonnent à trois personnes de ramper en file, avant de leur tirer dessus à bout portant. L’AFP n’a pas pu vérifier ces images de manière indépendante.

«Nous œuvrons à mettre un terme à ces exactions»

De son côté, une source sécuritaire citée par Sana vendredi a fait état d’«exactions isolées» commises par des «foules […] non organisées» en représailles à «l’assassinat de plusieurs membres des forces de police et de sécurité par les hommes fidèles à l’ancien régime». «Nous œuvrons à mettre un terme à ces exactions qui ne représentent pas l’ensemble du peuple syrien», a ajouté cette source du ministère de l’Intérieur.

L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, s’est dit «profondément alarmé», exhortant toutes les parties à «la retenue», un appel également lancé par Berlin et plusieurs capitales de la région. Moscou, qui a accueilli son ex-allié Bachar al-Assad, a appelé les dirigeants syriens à «stopper le bain de sang». Paris a de son côté «condamné les exactions» contre les civils et les prisonniers.

Selon Aron Lund, du centre de réflexion Century International, la flambée de violences témoigne de la «fragilité du gouvernement», dont une grande partie de l’autorité «repose sur des jihadistes radicaux qui considèrent les alaouites comme des ennemis de Dieu». Depuis son arrivée au pouvoir, Ahmed al-Charaa s’efforce de rassurer les minorités et a appelé ses forces à faire preuve de retenue et éviter toute dérive confessionnelle, mais cette ligne n’est pas nécessairement partagée par l’ensemble des factions qui opèrent sous son commandement, et forment aujourd’hui «l’armée et la police», selon Aron Lund.

Mise à jour : le 9 mars à 20h30 avec les propos du président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa.