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Reportage

Trouver des vêtements chauds, le calvaire des déplacés de Gaza

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Après plus de 40 jours de conflit, l’hiver s’abat sur Gaza dans le sillage des bombes. Le froid vient rajouter une contrainte aux centaines de milliers de déplacés qui ont dû fuir à la hâte, souvent sans vêtements chauds.
Une femme palestinienne lave des vêtements parmi les ruines de sa maison, le 7 novembre à Rafah. (Said Khatib /AFP)
par Mai Yaghi (bureau de l'AFP dans la bande de Gaza), à Khan Younès
publié le 17 novembre 2023 à 14h27

Informer depuis Gaza est extrêmement compliqué. Aucun journaliste ne peut y entrer, à l’exception de brèves incursions au sein d’unités de l’armée israélienne. Seuls les journalistes qui étaient sur place avant le 7 octobre continuent d’informer sur la situation. Parmi eux, des reporters de l’Agence France-Presse, dont nous publions ce jour le reportage.

A genoux, Khouloud Jarboue fouille dans une pile de vêtements. Quand cette Gazaouie a fui sa maison sous les bombes, ses trois enfants étaient en short et tee-shirt. Aujourd’hui, ils survivent sous la pluie et dans un froid qui devient mordant. «On est partis avec 20 membres de ma famille il y a plus d’un mois de la ville de Gaza», raconte cette Palestinienne de 29 ans. L’armée israélienne, qui bombarde sans répit le petit territoire depuis l’attaque sanglante du Hamas qui a fait 1 200 morts en Israël le 7 octobre, avait ordonné aux habitants de fuir vers le sud qu’elle présentait comme plus sûr.

«On n’a pris aucun vêtement avec nous. Maintenant qu’il fait froid, il faut que j’achète des vêtements d’hiver», poursuit la jeune femme. Sur le stand de vêtements d’occasion installé devant l’école de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), où elle dort avec sa famille à même le sol, les habits se vendent à un shekel la pièce (25 centimes d’euros). En 2022 déjà, l’ONU estimait que le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza depuis 2007 avait «vidé l’économie de Gaza de sa substance, laissant 80 % de la population dépendante de l’aide internationale». Le chômage atteint 45 % dans ce petit territoire coincé entre Israël, l’Egypte et la Méditerranée.

«Je n’ai pas d’eau pour doucher mes enfants ou pour une lessive»

Aujourd’hui, pour l’ONU, l’ensemble des 2,4 millions de Gazaouis souffrent de la faim, 1,65 million d’entre eux ont été forcés de se déplacer et avec près d’une maison sur deux détruite ou endommagée, la pauvreté va encore grimper. «C’est la première fois de ma vie que j’achète des habits d’occasion. On n’est pas riches mais d’habitude, je peux payer à mes enfants des habits à dix shekels. Mais là, ils toussent à cause du froid. Je n’ai pas le choix, explique Khouloud Jarboue. Je suis sûre que ces vêtements sont pleins de microbes mais je n’ai pas d’eau pour doucher mes enfants ni pour faire une lessive. Ils devront les porter directement.»

Un peu plus loin, sur une avenue où s’alignent des dizaines d’étals, des centaines de Palestiniens manipulent des habits, mesurent des tailles, comparent les tissus. Les températures se rafraîchissent et des trombes d’eau tombent régulièrement. Walid Sbeh n’a pas un shekel en poche. Cet agriculteur, qui a dû quitter ses terres, sort tous les matins de l’école de l’UNRWA où il campe avec sa femme et ses 13 enfants. «Je ne supporte pas de voir mes enfants affamés et dans de fins habits d’été alors que je sais que je ne peux rien leur acheter, lâche-t-il. Ce n’est pas une vie, [les Israéliens] nous forcent à quitter nos maisons, ils nous tuent de sang-froid et si on ne meurt pas sous les bombardements, on va mourir de faim, de soif, des maladies et du froid.»

Les bombardements israéliens, menés en représailles des massacres du 7 octobre, ont fait 11 500 morts, majoritairement des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.

«70 shekels pour une veste ?»

En prenant la route du sud après le bombardement de sa maison, Walid Sbeh avait emporté des couvertures. «Sur la route, les soldats israéliens nous ont dit de tout lâcher et d’avancer les mains en l’air.» Des gens qui avaient des vêtements chauds devenus trop petits pour leurs propres enfants les lui ont donnés.

Adel Harzallah, lui, tient un magasin de vêtements. «En deux jours, on a vendu tous les pyjamas d’hiver», dit-il, assurant avoir ressorti des invendus de l’an passé. «La guerre a commencé alors qu’on attendait la collection hiver. Elle devait arriver par les postes-frontières», mais tous ont été bouclés après le 7 octobre. Désormais, ces cargaisons «attendent dans des conteneurs qui n’entrent plus». Comme les denrées alimentaires, l’eau potable et le carburant, dont chaque gramme ou goutte s’échange à prix d’or.

Une cliente sort dépitée. «70 shekels pour une veste ? Moi j’ai cinq enfants à habiller, impossible !» lance-t-elle. Même dépit pour Abdelnasser Abou Dia, 27 ans, qui n’a «même pas de quoi payer pour acheter du pain, alors des vêtements…» Pendant presque un mois, il a gardé ceux qu’il portait en fuyant. Avec le froid grandissant, «quelqu’un nous a offert une veste de jogging chacun à mes enfants et à moi». Depuis une semaine, «on les porte tout le temps».