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Liberté d'expression

Turquie : un dessin de presse accusé de représenter le prophète Mahomet provoque de violents affrontements à Istanbul

Le gouvernement d’Erdogan dénonce une atteinte aux «valeurs religieuses» et à la «paix sociale» après la publication d’un dessin par une revue d’opposition, «Leman». Le dessinateur a été arrêté.
Des heurts à Istanbul, lundi 30 juin 2025. (Ozan Kose/AFP)
publié le 1er juillet 2025 à 8h38

Un dessin et un déferlement de violence. Des affrontements ont éclaté à Istanbul lundi 30 juin au soir, après la publication par une revue satirique d’opposition d’un dessin accusé par le gouvernement d’Erdogan de représenter le prophète Mahomet, ce que les responsables de la publication nient vigoureusement.

Plusieurs dizaines de personnes furieuses ont attaqué un bar fréquenté par le personnel de la revue dans le centre d’Istanbul. Les échauffourées ont rapidement dégénéré et impliqué entre 250 et 300 personnes, la police employant des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes pour les disperser.

Les incidents ont commencé après que le procureur général d’Istanbul a ordonné l’arrestation de rédacteurs du magazine Leman au motif qu’il avait publié un dessin qui «dénigre ouvertement les valeurs religieuses».

Le ministre de l’Intérieur Ali Yerlikaya a annoncé quatre arrestations dont celles de l’auteur du dessin, «D.P.», du graphiste et de deux responsables de la publication. Le ministère de la Justice a délivré six mandats d’arrêt visant notamment le rédacteur en chef et le directeur de la publication qui, tous deux, se trouvent à l’étranger.

«La personne nommée D.P. qui a fait ce dessin ignoble a été attrapée et placée en détention», a écrit sur les réseaux sociaux Ali Yerlikaya, ajoutant : «ces individus sans vergogne devront répondre de leurs actes devant la justice».

«Valeurs religieuses»

«Le manque de respect envers nos croyances n’est jamais acceptable», a également écrit sur X le ministre de la Justice, Yilmaz Tunc. «La caricature ou toute autre forme de représentation visuelle de notre Prophète porte non seulement atteinte à nos valeurs religieuses, mais aussi à la paix sociale».

La police a perquisitionné les locaux de Leman, sur l’avenue Istiklal d’Istanbul, et des mandats d’arrêt ont été émis contre plusieurs autres responsables de la publication, a écrit sur X le conseiller à la présidence Fahrettin Altin.

Une copie de l’image en noir et blanc publiée sur les réseaux sociaux montre deux personnages dans le ciel, au-dessus d’une ville sous les bombardements. «Salam aleykoum, je suis Mohammed», dit l’un en serrant la main de l’autre qui répond : «Aleykoum salam, je suis Musa (Moïse)».

Mais le rédacteur en chef du magazine, Tuncay Akgun, assure que l’image avait été mal interprétée. «Ce dessin n’est en aucun cas une caricature du prophète Mahomet. Dans cette œuvre, c’est le nom d’un musulman qui a été tué lors des bombardements d’Israël, il a été appelé Mohammed, c’est une fiction. Plus de 200 millions de personnes dans le monde islamique s’appellent Mohammed», a-t-il déclaré. «Cela n’a rien à voir avec le prophète Mahomet. Nous ne prendrions jamais un tel risque», a-t-il ajouté.

«Malveillant»

Sur X, Leman a défendu le dessin et estimé qu’il avait été sciemment mal interprété. «Le dessinateur a voulu montrer la droiture du peuple musulman opprimé en représentant un musulman tué par Israël, il n’a jamais eu l’intention de rabaisser les valeurs religieuses», a-t-il déclaré. «Nous n’acceptons pas l’opprobre qui nous est imposé parce qu’il n’y a pas de représentation de notre Prophète. Il faut être très malveillant pour interpréter la caricature de cette manière», a-t-il poursuivi. «Nous présentons nos excuses à nos lecteurs bien intentionnés qui, selon nous, ont été victimes de provocations».

Selon Tuncay Akgun, l’offensive judiciaire contre le magazine, bastion satirique de l’opposition lancé en 1991, est «incroyablement choquante, mais pas très surprenante». «C’est un acte d’annihilation», a-t-il dénoncé.

Créé en 1991, Leman est la cible des conservateurs de longue date, en particulier à la suite de son soutien à l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en France après l’attentat jihadiste dans ses bureaux parisiens en 2015, qui avaient fait 12 morts. L’attaque avait eu lieu après la décision de Charlie Hebdo de publier à plusieurs reprises des caricatures du prophète Mahomet.