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Résistance

En Iran, l’artiste Parastoo Ahmadi défie les mollahs en chantant sans voile lors d’un concert historique

Sa performance mercredi 11 décembre au soir, en plein désert et sans public, a suscité une vague d’admiration et d’espoir parmi la population. Les autorités ont annoncé sans surprise ce jeudi l’ouverture d’un procès contre la jeune femme et les musiciens qui l’accompagnaient.
Capture de la vidéo YouTube postée par Parastoo Ahmadi lors de sa performance dans un lieu tenu secret en Iran et sans public, le 11 décembre. (YouTube)
par Divan Shirazi
publié le 12 décembre 2024 à 17h53

Au cœur d’une société iranienne en pleine transformation, le moment était époustouflant et symbolique : un ancien caravansérail dans le désert, illuminé dans le ciel nocturne, accueillant un concert de musique en plein air et une chanteuse les cheveux au vent, vêtue d’une longue robe noire près du corps, les épaules découvertes. Fait sans précédent en quarante-cinq ans d’histoire de la République islamique, la chanteuse Parastoo Ahmadi, 27 ans, est montée sur scène mercredi soir 11 décembre sans porter de hijab et s’est produite en direct devant des caméras qui retransmettaient l’événement sur sa chaîne Youtube. «Je suis Parastoo, une fille qui veut chanter pour les gens qu’elle aime, a-t-elle écrit pour justifier son geste. C’est un droit auquel je ne pouvais pas renoncer – chanter pour le pays que j’aime si passionnément.»

La jeune femme s’est fait connaître lors des manifestations de 2022 en interprétant la chanson emblématique de la contestation Az Khoon e Javanan e Vatan ou «Du sang de la jeunesse de la patrie», partagée sur son compte Instagram aux 337 000 abonnés. Son geste, historique, s’inscrit dans la suite du mouvement révolutionnaire Femme Vie Liberté, qui a profondément transformé la société iranienne, les femmes se montrant de plus en plus défiantes à l’égard des lois gouvernementales imposant le port du hijab. Depuis la révolution islamique, les femmes iraniennes n’ont pas non plus le droit de chanter dans les rassemblements publics, sauf dans les lieux exclusivement féminins, et leurs voix sont interdites à la radio et à la télévision. Un double pied de nez, donc.

En quelques heures, Parastoo Ahmadi – qui portait lors de sa performance un collier en forme de carte de l’Iran – est devenue un nouveau symbole de la résistance, de la persévérance et du défi face à l’oppression religieuse et sexiste. «Nous n’oublierons jamais les premiers, ceux qui, par leur courage et leurs actes audacieux, ont repoussé les limites de notre imagination et révélé des possibilités de vie qui semblaient autrefois impensables, s’emballe Neda, une architecte iranienne. Je perdais la volonté de me battre et de vivre dans ce pays maudit, mais elle m’a donné la force de me relever.»

«La voix de millions de femmes réduites au silence»

Pour Elmira, 28 ans, professeure de musique à Rasht, dans le Nord-Ouest du pays, «Parastoo est la voix de millions de femmes iraniennes réduites au silence, qui réclament la liberté et la dignité.» «Ces voix ne sont pas seulement des protestations contre le régime actuel, ce sont des messages de résilience face à la tyrannie, poursuit l’enseignante. Elles disent : “Nous sommes en vie. Malgré vos restrictions, nous n’avons pas cédé aux normes que vous avez imposées pendant des décennies.”»

Ce concert d’une demi-heure s’est déroulé au milieu de débats houleux en Iran sur une nouvelle vague de lois draconiennes sur le hijab. Ces mesures restrictives, dont beaucoup affirment qu’elles criminalisent les femmes simplement parce qu’elles sont des femmes, prévoient des sanctions sévères, telles que de lourdes amendes, l’interdiction d’accéder à des services sociaux et de voyager, et pourraient être adoptées d’ici à la fin du mois. Elles perturberaient gravement la vie quotidienne de millions d’Iraniennes, même si des doutes persistent quant à leur applicabilité. «En un seul concert, Parastoo a révélé l’absurdité et la futilité de ces lois, élaborées par une machine législative tentaculaire pour cibler les femmes», souligne pour sa part Ronak, médecin de 48 ans, pour qui cette performance «érode la tyrannie de l’intérieur».

«Elle et son équipe ont parfaitement compris les risques de cet acte, mais ont choisi d’aller de l’avant»

Comme prévu, quelques heures seulement après que les images du concert sont devenues virales et ont suscité l’admiration générale, le pouvoir judiciaire iranien a annoncé l’ouverture d’un procès contre Parastoo Ahmadi et les musiciens qui l’accompagnaient. Cette réaction était attendue, y compris par Parastoo elle-même. «Elle a déjà fait l’objet de poursuites judiciaires, notamment pour une vidéo soutenant les manifestations Femme Vie Liberté, rappelle Sara, une étudiante de 23 ans. Elle et son équipe ont parfaitement compris les risques de cet acte, mais ont choisi d’aller de l’avant, en toute connaissance de cause et avec courage. Rien que cela force l’admiration.»

La jeune femme confie avoir été «submergée par l’émotion» lors de ce concert. «Combien de talents ont été supprimés au cours de ces quarante-cinq années ? s’interroge-t-elle. Combien de vies ont été détruites ? Sa magnifique présence sur scène m’a rappelé toutes les filles et femmes anonymes qui se sont vues refuser l’accès aux salles de classe pour un soupçon de maquillage ou un hijab légèrement desserré, ou qui ont subi des coups à la maison mais ont refusé de se rendre. Pas à pas, elles ont construit cette belle et durable échelle de la liberté.»