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Aide humanitaire

«Une mise à mort orchestrée» : à Gaza, la famine plonge l’enclave dans le chaos et les pillages

La pénurie alimentaire extrême et la faim poussent des habitants de l’enclave à se livrer au pillage de l’aide humanitaire, largement insuffisante, et dont les trois-quarts sont détournés par des milices et revendus au marché noir.
A 9 ans, Mariam pèse 10 kg à cause de la famine. Ici, le 2 août, avec sa mère, avec qui elle vit dans la ville de Gaza. ( Omar Al-Qattaa/AFP)
publié le 7 août 2025 à 18h36

A Gaza, la crise est telle que chaque cargaison d’aide, parvenant difficilement à entrer dans l’enclave, provoque des émeutes et, parfois, des bousculades meurtrières. Et les initiatives militaires israéliennes attendues dans les prochains jours risquent d’aggraver la situation humanitaire déjà catastrophique de ce territoire de 365 km² que l’ONU décrit comme «le plus affamé du monde».

Entre mars et mai, Israël a empêché toute entrée de livraison pendant onze semaines consécutives, condamnant les 2,2 millions d’habitants à la famine. Des images insoutenables montrent chaque jour des enfants émaciés, n’ayant plus que la peau sur les os. Selon les dernières données du ministère de la Santé à Gaza, contrôlé par le Hamas, près de 200 personnes sont mortes de faim ces derniers mois, dont la moitié étaient mineures.

«Stratagème mortifère»

Pour tenter de désamorcer les critiques internationales croissantes, les autorités israéliennes ont mis en place en mai une structure controversée de distribution d’aide placée sous supervision militaire, présentée comme une alternative plus efficace à l’acheminement humanitaire : la Gaza Humanitarian Foundation. En parallèle, elles ont démantelé le système d’aide coordonné par les Nations unies. Mais loin de soulager les souffrances, cette nouvelle structure a provoqué une vague de violences et de chaos sur le terrain, faisant plusieurs centaines de blessés.

Dans un rapport accablant publié ce jeudi 7 août, intitulé «This is not aid. This is orchestrated killing» («Ce n’est pas de l’aide. C’est une mise à mort orchestrée»), Médecins sans frontières (MSF) dénonce une structure qui s’est transformée en «stratagème mortifère, institutionnalisant la politique de famine menée par les autorités israéliennes à Gaza». Les équipes médicales ont même dû créer un nouvel acronyme aux registres de patients, utilisé pour désigner les personnes blessées ou dépouillées en tentant d’obtenir de l’aide : «BBO» («Beaten By Others», «Battus par d’autres»).

Sous la pression internationale, Israël a depuis instauré de courtes «pauses tactiques» quotidiennes de dix heures dans certaines zones, dont Al-Mawasi, Deir al‑Balah et la ville de Gaza, pour permettre, officiellement, l’acheminement de l’aide dans le territoire assiégé. Plusieurs pays, dont la France, le Royaume-Uni, les Emirats arabes unis et la Jordanie, ont également procédé à des largages aériens de colis humanitaires ces derniers jours. Une goutte d’eau dans l’océan au vu des besoins : selon les humanitaires, il faudrait l’entrée de plusieurs centaines de camions par jour pour éviter que la catastrophe ne s’aggrave encore. Or Israël continue de s’opposer à l’entrée d’aide massive par voie terrestre, alors que certaines agences onusiennes affirment disposer de stocks alimentaires suffisants pour nourrir l’ensemble de la population de Gaza pendant près de trois mois – des cargaisons bloquées aux portes du territoire, faute d’autorisation.

Neuf camions sur dix sont pillés

Dans ce contexte d’effondrement total, chaque sac de farine, de riz ou de lentilles déclenche des scènes de chaos parmi des civils désespérés. Affamés et livrés à eux-mêmes, les habitants se battent pour survivre, parfois jusqu’à s’affronter violemment pour un colis alimentaire. Dans le centre de la bande de Gaza, des images montraient jeudi 7 août des Palestiniens amaigris en train d’accourir par dizaines, se bousculant et s’arrachant des colis des mains, à la vue des palettes parachutées par un avion. Dans la nuit de mardi 5 à mercredi 6 août, au moins 22 personnes ont été tuées et plusieurs autres ont été grièvement blessées alors que des camions de marchandises traversaient le point de passage de Kissoufim.

Pour éviter les débordements, les chauffeurs du Programme alimentaire mondial ont reçu pour consigne de ne pas aller jusqu’au point de distribution final, mais de s’arrêter en amont et de laisser les civils se servir directement. Selon l’ONU, neuf camions sur dix sont pillés avant d’atteindre leur destination dans la bande de Gaza. «Je n’ai accès à aucun colis, car la foule se précipite vers les camions pour voler les produits, déplore Loai Naser, actuellement déplacé à Deir al-Balah pour la septième fois avec sa famille, et contacté par Libération. Honnêtement, nous mourons à petit feu. La famine a consumé nos corps. Il n’y a pas d’expression plus juste que celle‑ci pour résumer notre situation.»

Selon l’humanitaire, seulement un quart de l’aide parvient réellement jusqu’aux entrepôts. Le reste est détourné, parfois par des groupes armés, puis revendu sur les marchés à des prix exorbitants. Un sac de farine de 25 kilos dépasse aujourd’hui les 400 dollars (environ 340 euros), tandis qu’une simple bouteille d’huile s’échange à 25 dollars (21 euros). «De nouveaux gangs émergent, motivés par le profit qu’offre la revente de l’aide humanitaire sur les marchés locaux, décrit Amande Bazerolle, coordinatrice d’urgence de MSF à Gaza. Ils s’attaquent non seulement aux camions de ravitaillement, mais aussi aux civils qui reviennent des centres de distribution, cherchant à leur arracher ce qu’ils ont pu obtenir.» Dans ce contexte chaotique, une milice autoproclamée, les Forces populaires, a récemment vu le jour, menée par Yasser Abu Shabab, un Bédouin d’une trentaine d’années passé par les geôles du Hamas. Ce groupe, qui compte environ 300 membres, entend contrôler le trafic d’aide humanitaire et impose sa loi sur certaines zones du sud de Gaza, contrôlées par l’armée israélienne.