Menu
Libération
Conquête des pôles

Naufrage de «l’Endurance» : le célèbre explorateur Ernest Shackleton était conscient des lacunes de son navire avant de prendre la mer

Une étude publiée lundi dans la revue «Polar Record» lève un voile nouveau sur les raisons de la perdition du bateau en Antarctique et les informations dont disposait le navigateur britannique avant le départ.

L'Endurance peu après son arrivée en Antarctique, fin 1914. Il sera pris dans les glaces dès janvier 1915, et coulera en novembre de cette année-là. (Royal Geographical Society/Getty Images)
Publié le 09/10/2025 à 10h20

Plus de cent-dix ans après avoir coulé dans l’Antarctique, le navire l’Endurance, du célèbre explorateur anglo-irlandais Ernest Shackleton, continue de livrer de nouveaux secrets. Et si le navire polaire considéré comme le plus robuste de son temps, qui transporta un équipage de 28 hommes avec pour projet fou de traverser l’Antartique à pied, n’avait pas sombré en raison d’un gouvernail fragile, arraché par une plaque de glace flottante, mais plutôt à cause de ses défauts structurels ? Est-il possible que ce bateau resté bloqué dans la glace pendant plus de dix mois, en 1915, avant de sombrer définitivement dans les eaux profondes sous le regard de son équipage réfugié sur la banquise, n’ait en réalité jamais été capable résister à l’assaut des blocs de glace ? Et tout cela au vu et au su de son propriétaire devenu un héros de l’exploration en Antarctique ? C’est en tout cas ce que révèle une nouvelle étude publiée lundi 6 octobre dans la revue scientifique Polar Record.

Sur la base des journaux intimes de l’explorateur, de sa correspondance personnelle et de l’épave du navire – retrouvée en 2022 après plus de cent ans de recherches – le groupe d’experts affirme en effet que «Shackleton était pleinement conscient des faiblesses de l’Endurance et des risques encourus lors d’une traversée de l’Antarctique». «Le danger des glaces en mouvement et des charges de compression de la banquise, ainsi que la conception d’un navire pour de telles conditions, étaient bien compris avant même que le navire ne mette le cap vers le sud», assène Jukka Tuhkuri, chercheur spécialisé dans les glaces et auteur principal de l’étude, cité par le New York Times.

«Rien à craindre»

L’Endurance présentait également d’autres «défauts structurels», pointe le scientifique : une coque fragile, un compartiment moteur trop long – ce qui affaiblissait l’ensemble du navire –, ou encore l’absence de «poutres diagonales de renfort». En 1915, le capitaine de l’Endurance, Frank Worsley, décrivait la salle des machines comme «la partie la plus fragile du navire». Un autre membre d’équipage, Reginald James, écrivait, lui, que «la pression s’exerçait principalement sur la zone de la salle des machines, où il n’y a aucune poutre suffisamment solide». Résultat de ces lacunes : le gouvernail et le mât arrière n’ont pas pu résister à l’assaut de la glace, rendant l’envahissement rapide du navire par les eaux quasiment inévitable. Ces nouvelles découvertes vont donc à l’encontre de ce que Shackleton écrivait dans son livre South : A Memoir of the Endurance Voyage. Il y affirmait alors que la banquise était la seule responsable du naufrage.

Autre découverte mise au jour par le groupe de scientifique : avant de partir à l’assaut de l’Antarctique, le navigateur avait fait part à sa femme des défauts de son bateau, soulignant que l’Endurance «n’était pas aussi solide que le Nimrod sur le plan structurel», mais «qu’il n’y avait rien à craindre». Une référence au navire que Shackleton avait utilisé lors d’une précédente expédition en Antarctique en 1908. Mais Shackleton «était prêt à prendre le risque», explique Jukka Tuhkuri.

«Héroïque au sens poétique»

L’Endurance avait donc été «conçue pour fonctionner à la lisière de la banquise, mais pas pour y rester prisonnier», abonde auprès du Times Walt Ansel, architecte naval interrogé par le New York Times. Aussi, si le navigateur était conscient des lacunes de son navire, il savait également comment y remédier, indique l’étude publiée dans Polar Record. Mais il n’en fera rien.

«On peut spéculer sur les pressions financières ou les contraintes de temps, mais en réalité, nous ne saurons peut-être jamais pourquoi Shackleton a fait ces choix», concède finalement Jukka Tuhkuri. Si l’Endurance «était peut-être un navire robuste et héroïque au sens poétique du terme», d’un point de vue technique, «malheureusement, il ne l’était pas», conclut-il.