Menu
Libération
Mémoire

«Nécessaire repentance», «alignement des planètes», «nouveau départ»: la visite de Macron vue par la presse algérienne

Si Paris ne fait pas de la question mémorielle une «priorité » du déplacement d’Emmanuel Macron, la presse algérienne se fait l’écho de son côté des relations diplomatiques mouvementées entre les deux pays et souligne l’omniprésence de la mémoire dans leurs relations.
Emmanuel Macron à Paris, le 19 mars. (GONZALO FUENTES/AFP)
publié le 25 août 2022 à 13h11

Alors qu’Emmanuel Macron entame ce jeudi une visite de trois jours en Algérie, l’Elysée a prévenu que la question mémorielle ne serait pas la «priorité» de ce déplacement. Vu de l’autre rive de la Méditerranée, ce dossier sensible entre les deux pays revêt pourtant une importance de taille.

Le quotidien El Moudjahid, proche du gouvernement, indique ainsi que «l’Etat algérien accorde une attention toute particulière» au «dossier de la mémoire». Si «tous les indicateurs semblent en faveur d’un nouveau départ à l’occasion de ce déplacement», le journal prend soin de citer les récents propos du président algérien Abdelmadjid Tebboune, à l’occasion de la journée nationale du Moudjahid, durant laquelle il appelait à «protéger notre mémoire collective des fourberies de ceux qui, depuis des décennies, traînent derrière eux leur haine et leur âpre rancœur pour les réalisations de l’Algérie indépendante et souveraine».

«Sur l’autre rive, on peine à mesurer la gravité dévastatrice de la violence coloniale et parfois, ostensiblement, des mots assassins nous arrivent», lit-on encore dans l’éditorial de ce quotidien considéré comme le porte-voix du régime. Une référence aux propos de Macron, rapportés par le Monde à l’automne 2018, sur la «rente mémorielle» sur laquelle se serait construite la «nation algérienne post-1962».

«Devoir d’inventaire»

Plus modéré, le Quotidien d’Oran évoque la «nécessité» de réconcilier les mémoires. «Apaiser les douleurs mémorielles est une thérapie pour une histoire qui souffre de plaies et de dénis», rapporte le journal de la deuxième plus grande ville du pays. Alors que le chef de l’Etat doit s’entretenir en tête-à-tête avec son homologue algérien, le journal oranais note que «le premier apaisement ne vient pas, à vrai dire, des politiques» mais «de la lecture désintéressée, impassible, impartiale et juste des mêmes faits». En juillet, à l’occasion des commémorations du 60e anniversaire de l’indépendance, Tebboune avait proposé un «travail de mémoire» commun entre les deux pays, portant sur l’ensemble de la période de la colonisation française en Algérie. Une proposition à laquelle l’Elysée n’a pas répondu, renvoyant au travail réalisé – à la demande de Macron – par l’historien Benjamin Stora.

Dans le Soir d’Algérie, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique Chems Eddine Chitour signe une chronique intitulée «Ave Macron, ceux qui n’oublient rien te saluent». Convoquant le philosophe Paul Ricœur dont Emmanuel Macron fût l’assistant durant ses études, l’universitaire estime qu’un «un devoir d’inventaire s’impose pour les exactions commises sur un peuple sans défense» durant la colonisation. «L’avenir des relations de l’Algérie envers la France ne pourra aller dans la bonne direction que si l’on évalue la réalité du traumatisme de l’invasion et de la colonisation, qui en appelle à une nécessaire repentance franche et loyale dans l’égale dignité des deux peuples», écrit l’ancien ministre.

«Deux hommes pour sceller un destin»

Autre sujet abordé par la presse algérienne, l’épineuse question des visas. A l’automne, le gouvernement a décidé de réduire drastiquement la délivrance de visas aux Algériens, afin de forcer les autorités algériennes à davantage coopérer dans la réadmission de leurs ressortissants algériens en phase d’expulsion.

«Si ce visa est parfois la clé d’un rêve pour toute cette nouvelle génération éprise d’évasion et de liberté ou son accès vers un cauchemar insoupçonnable, écrit le Quotidien d’Oran, il est surtout un enjeu diplomatique obscur dans un enjeu politique versatile.»

Pour l’Expression, «l’alignement des planètes [se] prête plus que jamais» à un réchauffement des relations entre la France et l’Algérie. Revenant sur la brouille diplomatique de ces derniers mois, le quotidien met en avant Macron et Tebboune, «deux hommes pour sceller un destin». En écho aux déclarations de l’Elysée, le journal souligne l’importance du rôle de la jeunesse pour «construire un avenir basé sur une relation fraternelle». Mais, dans le même temps, lie cette hypothèse à la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France à partir de 1830.

«Partenaire qui a des besoins»

«Les jeunes Algériens sont prêts à pardonner. Ils sont conscients que de l’autre côté de la Méditerranée, la nouvelle génération ne comprend pas leur douleur, écrit ainsi l’Expression. La jeunesse algérienne connaît les crimes coloniaux, pas la jeunesse française.» Abordant le chantier de réconciliation mémorielle ouvert par Emmanuel Macron en 2017, le journal déplore que ce «processus [ait] été victime d’interférences tierces, fruit de jeux de coulisses et de lobbyings émanant de cercles identifiés et connus pour leur hostilité à l’Algérie et aux Algériens».

D’autres titres, comme le site d’information TSA, reviennent, eux, sur les sujets géopolitiques et économiques de la visite française. Et notamment sur la question du gaz algérien, convoité des Européens alors que Vladimir Poutine promet de couper le robinet des hydrocarbures russes. «La France vient en ami, note ainsi TSA, mais surtout en tant que partenaire qui a des besoins dans de nombreux domaines : énergie, entrepreneuriat, créativité, soft power, coopération militaire.»