La disparition organisée de l’argent du pétrole congolais
L’arrestation en 2012 à Paris de l’homme d’affaires Lucien Ebata en possession d’une énorme quantité d’argent liquide a mené les douaniers français sur la piste d’Orion Oil : cette société est soupçonnée d’être au cœur d’un vaste système de détournement de fonds publics au profit du clan du président congolais, Denis Sassou-Nguesso. Les enquêteurs, rattachés à Bercy, s’interrogent sur l’«utilité concrète» d’Orion Oil, qui agit comme courtier sur le marché du pétrole entre producteurs et distributeurs. Plusieurs centaines de millions d’euros se seraient évaporés.
Cette société a eu pendant une décennie un fournisseur et client quasi unique : la Société nationale des pétroles congolais (SNPC). Orion Oil revend une partie de la production pétrolière de la SNPC aux grandes majors énergétiques exploitantes comme Shell. Au passage, elle empoche une marge s’établissant entre 0,77 % et 8,62 %. Mais pour quelle plus-value opérationnelle ? Pour les enquêteurs, c’est comme si les activités de l’une et de l’autre se confondaient. Lire notre enquête en intégralité
Orion Oil est soupçonnée d’être une sorte de caisse noire dans laquelle les officiels puisent à loisir, même pour des dépenses courantes – paiements de chauffeurs, visas de quelques centaines d’euros…
Lucien Ebata, l’ascension fulgurante de «l’homme du président»
Le richissime président de la société Orion Oil, créée en 2008, s’est imposé comme une figure de l’économie africaine. Parti de rien, il a gravi les échelons jusqu’à devenir un émissaire diplomatique du régime congolais. Ce proche conseiller de Sassou-Nguesso a été mis en examen en 2021 à Paris, notamment pour blanchiment. Lire son portrait
Chaussures en alligator, palaces et grands crus… Lucien Ebata, aujourd’hui 53 ans, dépensait sans compter, notamment en France. Généralement en cash, et sans oublier de choyer des proches et des dignitaires du régime de Sassou-Nguesso. Lire le récit
Manuel Valls, l’invité surprise de l’affaire Orion Oil
Etait-il possible qu’une telle cavalcade de cadeaux congolais, payés en cash, se déploie dans Paris sans que des personnalités économiques et politiques françaises n’y soient mêlées ? Dans un second volet, Libération révèle que le Premier ministre français en exercice en 2016, Manuel Valls, est un invité surprise du dossier. Les enquêteurs soupçonnent des proches de l’ancien Premier ministre d’avoir abordé Lucien Ebata en vue d’un financement occulte de sa campagne naissante pour la présidentielle de 2017. Tandis que l’homme politique se préparait à ce qu’il pensait être un combat politique déterminant, la primaire du Parti socialiste qui se joua entre lui et Benoît Hamon, il surgit dans les conversations téléphoniques de Lucien Ebata, mis sur écoute : «Il est jeune. Même s’il perdait, il y aurait une relation amicale entre nous deux, ce serait un nouvel ami pour moi», envisage alors le patron d’Orion Oil. Lire l’enquête
DSK, Lewandowski : d’autres personnalités dans l’histoire
Voilà que les bons conseils de l’ancien patron du FMI Dominique Strauss-Kahn ont été généreusement rémunérés : Lucien Ebata s’est adjoint en 2018 les services de l’ancien ministre français dans le cadre de négociations entre le FMI et le pays africain, qui souhaitait contracter un prêt auprès de l’institution financière. Un contrat de 800 000 euros a éveillé les soupçons des enquêteurs de Bercy. Lire l’article.
Une autre figure d’Etat apparaît dans l’enquête. Il s’agit de Cédric Lewandowski, vice-président d’EDF. Avant ses rencontres avec le directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, Lucien Ebata était visé par deux fiches S depuis 2013 et 2014, supprimées en 2016. Selon des écoutes, le puissant conseiller serait intervenu.
Des agents de la police aux frontières de l’aéroport du Bourget mis en cause pour corruption
En enquêtant sur Lucien Ebata, les enquêteurs ont découvert que l’homme d’affaires cultivait une proximité avec deux agents de la police aux frontières de l’aéroport francilien du Bourget, où transitent les businessmen et leurs jets privés. Les policiers sont soupçonnés de l’avoir aidé, contre rétribution, à passer aisément les douanes avec du cash. Et ce malgré ses deux fiches S ! Lire l’enquête
Les «enveloppes à partager» du Qatar et de l’Arabie Saoudite
Les auditions de l’affaire Orion Oil ont levé le voile sur un vaste système de corruption d’agents de la police aux frontières de l’aéroport du Bourget, soupçonnés d’avoir reçu de l’argent des ressortissants des monarchies du Golfe en échange de faveurs. Lire le récit détaillé. Voici comment cela a commencé...
Le 31 janvier 2015, un brigadier-chef arrivé depuis un mois dans ce service alerte sa hiérarchie. Dans un rapport, il explique qu’au cours d’un contrôle réalisé avec un collègue, le chargé du protocole de l’ambassade du Qatar lui a tendu la main, «qui contenait visiblement plusieurs billets de banque d’une valeur de 50 euros l’unité». Le policier refuse l’enveloppe et note la réaction du diplomate. «Cet homme m’a paru surpris et m’a tendu de nouveau l’argent», ajoute le brigadier-chef, qui l’éconduit à nouveau. Cette alerte donne lieu à l’ouverture d’une autre enquête administrative gérée en interne, par la hiérarchie directe de l’agent. La quasi-totalité des policiers sont alors questionnés sur l’existence d’un système institutionnalisé de corruption à la PAF du Bourget. Certains évoquent des rumeurs de pots-de-vin mais tous nient être concernés. L’enquête administrative ne donnera rien. Mais comment est-il possible que ces deux dossiers potentiellement explosifs à la fois pour la PAF, mais également pour le Qatar et l’Arabie Saoudite, n’aient pas donné lieu à une transmission par l’administration à la justice ?
Les largesses de Lucien Ebata envers de prestigieuses personnalités
Ils s’appellent George Weah, José Manuel Barroso, Jean-Paul Moerman... Actuel ou ancien chefs d’exécutif de premier plan, juge constitutionnel belge ou cadre chez Havas, ils ont tous bénéficié des cadeaux de l’homme d’affaires canada-congolais. Des palaces pour le Ballon d’or 1995, des conférences grassement rémunérées pour l’ancien président de la Commission européenne, soutien (vain) au juge Moerman désireux d’obtenir le poste de Commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe... Lucien Ebata ne mégotait sur les dépenses lorsqu’il s’agissait de soigner ses relations politiques ou diplomatiques. Des prodigalités qui servaient parfois l’image de Denis Sassou-Nguesso.