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Justice

Pour Julian Assange, une étape judiciaire à quitte ou double à Londres

Ce lundi 20 mai, la Haute Cour britannique examine les «assurances» qu’elle a réclamées à Washington. Selon sa décision, soit le fondateur de WikiLeaks sera plus proche que jamais d’une extradition, soit il devra se préparer à un nouveau procès en appel.
Des soutiens de Julian Assange devant la Haute Cour de justice de Londre le 20 février 2024. En cas d'extradition aux Etats-Unis, l'Australien risquerait 175 ans de prison voire la peine de mort si de nouveaux chefs d'inculpation étaient retenus contre lui. (Wiktor Szymanowicz/Anadolu. AFP)
publié le 20 mai 2024 à 7h46

C’est une nouvelle étape dans l’interminable saga judiciaire de Julian Assange, qui pourrait être la dernière devant les tribunaux britanniques. Les enjeux de l’audience qui se tient ce lundi 20 mai au matin à la Haute Cour de justice de Londres sont, de fait, aussi élevés qu’il y a trois mois ; mais selon la décision que prendront les juges – dont on ne sait, pour l’heure, si elle sera rendue le jour même ou mise en délibéré –, soit le fondateur de WikiLeaks sera plus proche que jamais d’une extradition vers les Etats-Unis, soit il devra se préparer à un nouveau procès en appel, à échéance de plusieurs mois.

Lueur d’espoir après plusieurs revers judiciaires

Aux Etats-Unis, l’Australien est sous le coup de 18 chefs d’inculpation, dont 17 au titre d’une loi plus que centenaire sur l’espionnage : il encourt, pour la détention et la publication de centaines de milliers de documents classifiés en 2010 et 2011, jusqu’à 175 ans de prison. Arrêté en avril 2019 dans l’ambassade d’Equateur à Londres, emprisonné depuis lors dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, il se bat depuis cinq ans contre la demande d’extradition émise à son encontre par Washington.

Or le 26 mars dernier, après trois années de revers judiciaires successifs, il s’est vu accorder, sinon une victoire, du moins une lueur d’espoir. La Haute Cour a reconnu le bien-fondé de trois des «moyens d’appel» invoqués par sa défense pour contester la décision prise par l’exécutif britannique de le remettre aux autorités américaines : le risque de condamnation à la peine capitale en cas de nouveaux chefs d’inculpation aux Etats-Unis, le risque de discrimination en raison de sa nationalité, tous deux contraires à la loi britannique sur l’extradition de 2003, et enfin l’atteinte à sa liberté d’expression, protégée par la Convention européenne des droits de l’homme, dont le Royaume-Uni, même post-Brexit, est toujours signataire.

Les juges ont donc demandé à l’administration américaine de garantir qu’en cas d’extradition, Assange ne risquerait pas la peine de mort, qu’il ne serait pas soumis à un procès inéquitable, mais aussi qu’il pourrait se prévaloir du premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d’expression et la liberté de la presse. Or tout au long de la procédure, les avocats des Etats-Unis ont précisément dénié tout caractère journalistique aux activités du chef de file de WikiLeaks, affirmant qu’il lui était avant tout reproché d’avoir mis en danger des sources de l’administration américaine. Ce que l’intéressé conteste vigoureusement.

«Assurance standard» et «non-assurance»

Mi-avril, Washington s’est donc plié à la demande de la justice britannique. Les documents fournis, rapporte le Guardian, stipulent qu’«une condamnation à mort ne sera ni réclamée, ni infligée à Assange». Quant au premier amendement, l’Australien aura «la possibilité de [le] soulever et de chercher à [l’]invoquer»… mais son applicabilité «relève exclusivement de la compétence des tribunaux américains». Une «assurance standard» sur l’absence de peine capitale et une «non-assurance» sur la protection de la Constitution américaine, a cinglé sur X (ex-Twitter) Stella Assange, la femme du fondateur de WikiLeaks.

Si les juges estiment suffisantes les garanties qui leur sont soumises, Assange pourra être remis aux autorités américaines : son équipe de défense se prépare d’ores et déjà à devoir saisir la Cour européenne des droits de l’homme, qui peut, en cas de «risque imminent de dommage irréparable», prononcer des «mesures provisoires», telle une suspension d’extradition. Si, a contrario, la Haute Cour n’est pas convaincue par tout ou partie des arguments de Washington, un nouveau procès en appel aura lieu. Ne pourront cependant être examinés, dans cette hypothèse, que les motifs retenus par les juges – qui ont notamment écarté les arguments de la défense d’Assange sur le caractère «politique» des charges retenues contre lui. Des motifs qui méritent en tout état de cause «un examen juridique complet, et ne peuvent être ignorés sur la seule base de promesses politiques, non contraignantes, entre États, réagit auprès de Libération la directrice des campagnes de Reporters sans frontières (RSF), Rebecca Vincent. Nous espérons que la cour, à ce stade ultime, agira pour protéger le journalisme et la liberté de la presse en empêchant l’extradition d’Assange.»

Reste, par ailleurs, une ultime inconnue : la piste d’une issue non pas judiciaire, mais politique. Le mois dernier, Joe Biden avait indiqué, pour la première fois, que son administration examinait la demande faite par l’Australie d’un abandon des poursuites contre son célèbre ressortissant. C’est ce à quoi l’appellent, depuis quatre ans, une vingtaine d’ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch ou RSF.